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Parole de spécialiste — 17 minutes

Combattre les virus par le sommeil

Dr Pierre Mayer
Dr Pierre Mayer
Pneumologue - Directeur médical - Sommeil

Tout le monde sait que le sommeil est important pour la santé et le bien-être. Il permet de récupérer de la fatigue physique et mentale. Il donne de l’énergie, aide à gérer le stress, améliore la concentration et accroît la vigilance.

Ce qu’on sait moins, c’est que le sommeil contribue également à renforcer le système immunitaire et à combattre de nombreuses maladies causées par des virus, des bactéries, des champignons et des parasites. Il peut même accroître l’efficacité des vaccins. Votre mère avait donc raison : de bonnes nuits de sommeil sont un excellent moyen de prévenir les rhumes, les grippes et les autres infections!

Comment le sommeil agit-il sur le système immunitaire?

Le lien entre le sommeil et le système immunitaire a été établi dans les années 1970 chez les animaux, puis chez les humains [1]. Depuis, de nombreuses études ont montré que les personnes qui manquent de sommeil sont plus susceptibles de développer un rhume [2], une maladie respiratoire [3] ou une maladie infectieuse. Pourquoi? Principalement parce que le sommeil aide à maintenir l’efficacité des différentes composantes de votre système immunitaire.

Les lymphocytes T. Lorsque vous êtes en état d’éveil, ces « petits soldats » circulent dans le sang pour lutter contre les infections. Lorsque vous dormez, ils passent du circuit sanguin aux ganglions lymphatiques. Là, des cellules « présentatrices d’antigène » leur transmet de l’information sur les microorganismes infectieux qui circulent dans l’organisme afin qu’ils puissent les reconnaître et les repousser. Les lymphocytes T développent ainsi leur mémoire immunitaire. Sans un sommeil suffisant, vos lymphocytes n’auront pas toute l’information pour vous procurer une bonne immunité [4].

Les intégrines.Pour neutraliser les envahisseurs, les lymphocytes T doivent se fixer sur les cellules infectées. Ils y parviennent en activant des intégrines, des protéines qu’on pourrait qualifier d’« adhésives ». Selon une étude, l’activité des intégrines est plus faible chez des sujets privés de sommeil que chez des sujets plus reposés, affectant le fonctionnement des lymphocytes T. Les chercheurs croient que le sommeil favoriserait l’activation des intégrines en réduisant les hormones de stress, comme l’adrénaline [5].

Les cytokines. Dès que votre système immunitaire est activé par un agent pathogène, il produit des cytokines, des protéines qui servent d’agents de communication entre les différentes cellules intervenant dans la réponse immunitaire. Par exemple, ce sont elles qui incitent les lymphocytes T à se rendre dans les ganglions lymphatiques (voir plus haut). Comme le manque de sommeil tend à réduire la production de cytokines, cela nuit au bon fonctionnement du système immunitaire [6].

À l’inverse, un sommeil insuffisant peut parfois déclencher une surproduction de cytokines « pro-inflammatoires ». Normalement, ces cytokines attirent sur le site de l’infection des cellules favorisant l’inflammation, ce qui permet à l’organisme de se défendre contre une agression. Par exemple, en élevant la température corporelle, la fièvre, qui est une forme d’inflammation, limite la multiplication des agents pathogènes. Toutefois, il arrive que la production de cytokines soit exagérée par rapport à l’infection elle-même et cause plus de tort que le microorganisme infectieux. On l’a vu avec la COVID-19 qui peut causer de telles tempêtes inflammatoires. Le manque de sommeil pourrait lui aussi contribuer à cette réponse immunitaire démesurée.

Les cellules tueuses. Les cellules tueuses naturelles, ou cellules NK (pour natural killer), sont ces globules blancs particuliers qui participent, avec les lymphocytes T, à la « mise à mort » de microorganismes infectieux, mais aussi de cellules cancéreuses. Une étude réalisée dans les années 1990 a démontré que la privation de seulement quelques heures de sommeil pouvait réduire de près du tiers l’activité de ces guerrières essentielles [7].

Les adultes qui ne dorment pas régulièrement une bonne nuit de 7 à 9 heures de sommeil sont plus susceptibles de tomber malades.

À lire aussi : Comment l’utilisation d’un téléphone intelligent influe-t-elle sur mon sommeil?

Quelles sont les conséquences du manque de sommeil?

En limitant l’activité du système immunitaire, le déficit de sommeil peut favoriser l’apparition d’une infection ou nuire à la qualité de votre réponse immunitaire. En voici quelques exemples concrets.

Vous courez plus de risques de souffrir du rhume ou de la grippe.

Une étude a démontré que des sujets ayant dormi en moyenne moins de 7 heures dans les 2 semaines précédentes présentaient près de 3 fois plus de risques de développer les symptômes du rhume que ceux qui avaient dormi plus de 8 heures pendant la même période [2].

Des résultats similaires ont été obtenus en 2015 par Aric Prather, professeur à l’Université de Californie à San Francisco, qui a conclu que dormir moins de 6 heures par nuit multiplie par 4 le risque de tomber malade après une exposition à des virus [8].

« Le manque de sommeil est l’un des principaux facteurs permettant de prédire dans quelle mesure une personne est susceptible d’attraper un rhume, quel que soit son âge, son niveau de stress, sa race, son niveau de scolarité ou son statut tabagique. » Aric Prather, professeur à l’UCSF

L’efficacité de vos vaccins risque d’être moins élevée.

Un nombre insuffisant d’heures de sommeil peut réduire l’efficacité de la réponse immunitaire provoquée par un vaccin. Une étude réalisée en 2002 a démontré que le nombre d’anticorps produits à la suite d’un vaccin contre la grippe était 50 % plus faible chez des personnes qui n’avaient dormi que 4 heures par nuit pendant les 4 nuits précédant le vaccin que celles qui avaient suffisamment dormi [9]. Ces résultats ont été confirmés à quelques reprises par diverses recherches, dont l’une a établi que chaque heure additionnelle de sommeil correspondait à une hausse des anticorps d’environ 50 % après la vaccination [10].

Vous vous exposez davantage aux infections fongiques et parasitaires

La somnolence diurne, souvent le résultat d’un manque de sommeil ou d’un sommeil de mauvaise qualité, est également associée à une plus forte prévalence des infections fongiques, comme les mycoses, et des infections parasitaires comme la giardiase et le paludisme. En effet, des chercheurs ont constaté que l’utilisation de médicaments antiparasitaires et antifongiques était significativement plus importante chez les individus présentant de la somnolence le jour [11].

À lire aussi : Les impacts d’un manque de sommeil sur le poids (Infographie)

Qu’en est-il des troubles du sommeil?

En causant un sommeil de piètre qualité, les troubles du sommeil, comme l’insomnie et l’apnée du sommeil, sont susceptibles eux aussi d’affecter le système immunitaire. De nombreuses études mettent en évidence des liens entre les troubles du sommeil et la qualité de la réponse immunitaire [6]. Selon une récente méta-analyse, les troubles du sommeil sont même plus souvent associés à une surproduction de cellules inflammatoires que le déficit de sommeil [12].

Les vertus du sommeil pour l’immunité

Sans être une garantie contre les différentes infections, un sommeil adéquat en réduit grandement les risques. Il permet également à votre système de lutter plus efficacement contre les agents pathogènes et accroît votre réponse immunitaire à un vaccin. Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, le sommeil favorise le fonctionnement de tout l’organisme et pas seulement celui du cerveau.

Si vous dormez peu ou éprouvez un trouble du sommeil, ou encore si vous ressentez souvent de la fatigue pendant la journée, voyez si vous pouvez adopter des habitudes de vie qui favorisent le sommeil. En améliorant sa durée et sa qualité, vous vous offrez l’une des meilleures assurances maladie qui soient!

Sources12
  1. Krueger J.M., M.L. Karnovsky, S.A. Martin, J.R. Pappenheimer, J. Walter et K. Biemann. « Peptidoglycans as promoters of slow-wave sleep. II. Somnogenic and pyrogenic activities of some naturally occurring muramyl peptides; correlations with mass spectrometric structure determination », Journal of Biological Chemistry, 1984; 259:12659-62.
  2. Sheldon Cohen, W. J. Doyle, C. M. Alper et coll. « Sleep Habits and Susceptibility to the Common Cold », Archives of Internal Medicine, 12 janv. 2009; 169(1):62-67.
  3. Prather, Aric A. et Cindy W. Leung. « Association of Insufficient Sleep With Respiratory Infection Among Adults in the United States », Journal of the American Medical Association, 1er juin 2016; 176(6):850-852.
  4. Pratt, Elizabeth. « How Sleep Strengthens Your Immune System », Healthline, 21 février 2019. https://www.healthline.com/health-news/how-sleep-bolsters-your-immune-system
  5. Dimitrov, Stoyan, Tanja Lange, Cécile Gouttefangeas et coll. « Gαs-coupled receptor signaling and sleep regulate integrin activation of human antigen-specific T cells », Journal of Experimental Medicine, 2019; 216 (3):517-526.
  6. Besedovsky, Luciana, Tanja Lange et Monika Haack. « The Sleep-Immune Crosstalk in Health and Disease », Physiological Reviews, 28 mars 2019; https://doi.org/10.1152/physrev.00010.2018.
  7. Irwin, M. R., A. Mascovich, J. C. Gillin, R. Willoughby, J. Pike et T. L. Smith TL. « Partial Sleep Deprivation Reduces Natural Killer Cell Activity in Humans », Psychosomatic Medicine, nov.-déc. 1994; 56(6):493-498.
  8. Prather, Aric A., Denise Janicki-Deverts, Martica H. Hall et Sheldon Cohen. « Behaviorally Assessed Sleep and Susceptibility to the Common Cold », Sleep, 1er sept. 2015; 38(9):1353-9.
  9. Spiegel, Karine, John F. Sheridan et Eve Van Cauter. « Effect of sleep deprivation on response to immunization », Journal of the American Medical Association, 25 sept. 2002; 288 (12):1471-2.
  10. Prather, Aric A., Martical Hall, Jacqueline M. Fury, Diana C. Ross et coll. « Sleep and Antibody Response to Hepatitis B Vaccination », Sleep, 1er août 2012; 35(8):1063-69.
  11. Berticat, C. et coll. « Excessive daytime sleepiness and antipathogen drug consumption in the elderly: a test of the immune theory of sleep », Scientific Reports, 21 mars 2016; 6:23574.
  12. Irwin, Michael R., Richard Olmstead, Judith E. Carroll. « Sleep Disturbance, Sleep Duration, and Inflammation: A Systematic Review and Meta-Analysis of Cohort Studies and Experimental Sleep Deprivation », Biological Psychiatry, 1er juin 2015; 80(1):40-52.
Dr Pierre Mayer
Dr Pierre Mayer
Pneumologue - Directeur médical - Sommeil
Professeur agrégé de clinique et directeur de la clinique du sommeil du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), Dr Mayer est pneumologue et possède une formation postdoctorale sur les troubles du sommeil de l’Université Joseph Fourier, à Grenoble, en France, et de l’Université McGill, à Montréal. Il est le directeur médical de Biron-Soins du sommeil depuis 1998.