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Culottes et coupes menstruelles, serviettes hygiéniques et tampons écolos : vers une hygiène menstruelle plus consciente

5 mai 2024

Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique

Les femmes (*) ont généralement leurs menstruations 12 ou 13 fois par année, soit environ de 450 à 500 fois au cours de leur vie. Paradoxalement, en raison de la diminution du nombre de grossesses et de périodes d’allaitement, les femmes ont aujourd’hui plus de menstruations que leurs mères et leurs grands-mères. Pendant longtemps, les « règles » et l’utilisation des produits d’hygiène menstruelle (PHM) ont été entourées de tabous. Même aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, ce sujet est trop souvent abordé avec une certaine gêne. Cependant, avec les avancées récentes en toxicologie, en protection de l’environnement et grâce aux nombreuses initiatives des associations de défense des femmes, la discussion sur les PHM est devenue de plus en plus pertinente.

*Pour fins d’allègement du texte, le mot « femme » comprend les personnes nées biologiquement femmes incluant les femmes cis, les hommes trans et les personnes non binaires.

Évolution des produits d’hygiène menstruelle à travers l’histoire

Dans l’ancienne Égypte, il est rapporté que les femmes utilisaient des tampons fabriqués à partir de papyrus (1). Au Moyen Âge, les femmes ne portaient pas de sous-vêtements et n’utilisaient donc pas de protection. Le flux menstruel était souvent évacué librement, bien qu’à d’autres époques, des jupons menstruels aient été utilisés à cet effet (2).

Serviettes et tampons

Dans les années 1920, les PHM modernes ont fait leur apparition. Pendant la Première Guerre mondiale, des infirmières françaises ont découvert que les fibres de cellulose étaient bien plus absorbantes que le coton pour contenir les hémorragies. À la fin de la guerre, Kimberly-Clark a utilisé les surplus de ces fibres de cellulose pour créer les premières serviettes hygiéniques Kotex, maintenues en place par une ganse de soie ou une bande adhésive.

Au début des années 1930, le Dr Earle Haas a déposé une demande de brevet pour un tampon hygiénique en coton muni d’une cordelette pour en faciliter le retrait. Par la suite, les serviettes hygiéniques et tampons ont principalement évolué grâce à des modifications chimiques visant à améliorer leur capacité d’absorption, à l’ajout de parfums ou encore à la création d’emballages de plus en plus sophistiqués (2).

Coupes menstruelles et disques menstruels

En 1937, la première coupe menstruelle en caoutchouc a fait son apparition. Son principal avantage par rapport aux serviettes et tampons était sa capacité à rester en place pendant de 8 à 12 heures. À la fin des années 1990, la coupe menstruelle en silicone, plus douce et malléable, est arrivée sur le marché, suivie du disque menstruel.

Versions biodégradables ou sans déchets

Avec la croissance de la sensibilité aux problèmes environnementaux et à la grande quantité de déchets générés par les serviettes et tampons menstruels contenant du plastique, de plus en plus de versions « bio » ont vu le jour. Elles offrent des approches théoriquement plus saines, exemptes de parfums et de composés chimiques indésirables, tout en étant plus facilement biodégradables, car dépourvues de plastique (3). Des culottes menstruelles lavables, qui réduisent considérablement les déchets, sont également offertes, rappelant en quelque sorte le jupon menstruel du siècle précédent (2).

Les risques cachés des produits d’hygiène menstruelle 

Les préoccupations scientifiques et médicales concernant les PHM sont multiples. D’une part, il y a la préoccupation liée à l’exposition à des composants chimiques potentiellement dangereux, tels que les perturbateurs endocriniens et les substances capables de modifier le pH vaginal. D’autre part, un aspect médical important est le risque rare, mais grave, de choc toxique associé à l’utilisation prolongée de tampons et d’autres dispositifs intravaginaux.  

En 2023, un groupe de recherche en toxicologie de l’INRS-UQAM a publié une revue exhaustive de la littérature scientifique portant notamment sur la présence de composants chimiques dangereux dans les PHM et leurs potentiels effets toxiques (1). Leur constat principal est double : 

  • Les PHM contiennent une multitude de composants chimiques potentiellement dangereux, même en faible concentration; 
  • Il existe un manque évident d’études scientifiques bien structurées sur leurs effets à long terme. 

Parmi les composants chimiques problématiques, on trouve une variété de métaux lourds tels que le plomb, ainsi que des perturbateurs endocriniens potentiels comme les phtalates et les parabènes. Ces perturbateurs endocriniens ont été associés à des troubles de santé tels que l’endométriose, l’infertilité transgénérationnelle et le cancer du sein. D’autres substances, comme les métaux lourds, ont été liées à des problèmes neurologiques, à des irritations, à des allergies et même à des cancers de la peau. 

La sécurité de la grande majorité des composants potentiellement toxiques, aux concentrations retrouvées dans les PHM, a été évaluée à partir d’essais d’absorption cutanée, souvent réalisés sur des animaux ou sur la peau d’hommes.  Cependant, les études de toxicité menées sur la peau ne peuvent pas refléter entièrement la complexité de la situation concernant la muqueuse vaginale, qui est beaucoup plus vascularisée et exposée à une variété de composants pendant une période d’environ 40 ans. Selon les auteures de la revue de la littérature, cette limite aurait dû, au minimum, justifier l’application du « principe de précaution » en attendant la réalisation d’études mieux structurées.  

Choc toxique : les risques méconnus

Le syndrome du choc toxique (SCT) est une complication rare, mais potentiellement mortelle, de certaines infections bactériennes, telles que celles causées par le staphylocoque doré (Staph. aureus) ou les streptocoques du groupe A. Le SCT peut toucher toutes les personnes, y compris les hommes, les enfants et les femmes post-ménopausées (4). La fameuse «  bactérie mangeuse de chair », appelée fasciite nécrosante, est un exemple des effets de toxines libérées par les bactéries mentionnées.

Chez les femmes, le SCT a été associé à l’utilisation de tampons ainsi que d’autres dispositifs tels que les coupes menstruelles, les éponges contraceptives et les diaphragmes.

Les signes et symptômes du SCT comprennent :

  • une fièvre élevée soudaine;
  • une chute de la pression artérielle;
  • des vomissements et de la diarrhée;
  • un rash cutané ressemblant à un coup de soleil sur les paumes des mains ou la plante des pieds;
  • des douleurs musculaires;
  • des rougeurs aux yeux, à la bouche ou à la gorge;
  • des maux de tête, de la confusion et des convulsions.

L’origine du SCT réside moins dans la composition du tampon menstruel que dans la présence, chez environ 1 % des femmes, de bactéries toxiques naturellement présentes en très faible quantité dans le vagin. Certaines conditions, comme le port d’une protection menstruelle intravaginale (tampons) pendant plus de six heures, peuvent favoriser la multiplication de ces bactéries dangereuses. Le risque du SCT est multiplié par deux lorsque le tampon est gardé pendant plus de six heures et par trois s’il est porté toute la nuit. Il est donc recommandé d’utiliser une autre forme de protection menstruelle pendant la nuit et surtout de bien lire la notice d’utilisation des produits utilisés (5).

Écologie et déchets menstruels : enjeux et solutions de rechange

Au cours de sa vie, une femme utilisera entre 12 000 et 15 000 PHM, générant 110 à 135 kg de déchets. Rien qu’au Québec, cela représente plus de 2 700 tonnes de déchets par an, composés à 90 % de plastique non biodégradable qui restera dans la nature pendant 500 à 800 ans. (6,7)! En prenant en compte les étapes de production, de transport, d’utilisation et d’élimination, les serviettes menstruelles non biologiques et à usage unique sont les plus néfastes pour l’environnement. Elles obtiennent le plus haut « potentiel de réchauffement planétaire », principalement en raison de la fabrication et de la production du polyéthylène, un plastique dérivé du pétrole. 

Il existe heureusement plusieurs moyens de réduire cette empreinte écologique. La première consiste à remplacer les PHM à usage unique par des versions réutilisables. Les coupes menstruelles sont considérées comme le meilleur choix à cet égard et représente sur 10 ans moins de 5 % de l’empreinte laissée par les dispositifs à usage unique. L’empreinte des disques menstruels (également en silicone) serait en principe du même ordre, bien que l’impact des sous-vêtements menstruels soit encore mal connu.

Produits d’hygiène menstruelle : produits de luxe? 

Selon le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF), la précarité menstruelle se définit comme la difficulté à accéder aux PHM, que ce soit de manière régulière ou occasionnelle, en raison de contraintes financières (8).

D’après une enquête menée en 2020, 12 % des Québécoises ont déjà dû faire face à un choix difficile, soit se procurer des PHM ou d’autres articles essentiels. Dans le cadre d’un sondage pancanadien réalisé en 2019 auprès de femmes entre 14 et 55 ans, 34 % des Québécoises ont indiqué avoir dû sacrifier d’autres besoins (loyer, nourriture, loisirs, vêtements, etc.) pour acheter des PHM (1).

Accès équitable aux PHM : fourniture gratuite dans les lieux publics et sur les lieux de travail

La solution préconisée par les associations de défense des droits des femmes est la fourniture gratuite de PHM et de contenants pour leur élimination dans tous les lieux publics, au même titre que le savon et le papier de toilette. Ces lieux comprennent les bibliothèques, les piscines, les établissements d’enseignement, voire les toilettes pour hommes afin d’offrir un service équitable aux hommes trans, non binaires, etc. Il est également recommandé que ce même programme soit assuré aux frais des employeurs dans tous les lieux de travail.  

Qu’en est-il ailleurs dans le monde?

Parmi les initiatives déjà mises en œuvre, notons que l’Écosse a été le premier pays à instaurer en 2020 un programme de gratuité des PHM, applicable non seulement dans les établissements d’enseignement, mais aussi dans les lieux publics. Au Canada, la Colombie-Britannique a été la première province à offrir des PHM gratuits dans ses écoles en 2019, suivie par plusieurs autres (9). Le Nouveau-Brunswick offre des PHM dans ses 63 bibliothèques publiques depuis l’été 2023 (10).

Depuis le 15 décembre 2023, le gouvernement du Canada impose à tous les employeurs relevant de sa compétence, comme les fonctionnaires fédéraux, les employés des banques, des sociétés d’État, des aéroports et gares ferroviaires d’offrir à leurs employés des PHM gratuits ainsi que des contenants d’élimination (11). 

Plusieurs arrondissements de la Ville de Montréal ont mis en place des programmes de subvention pour couvrir une partie des coûts d’acquisition de PHM moins polluants, tels que les sous-vêtements, les serviettes lavables et les coupes menstruelles. Par exemple, l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve offre temporairement un remboursement de 66 % (maximum de 50 $) pour les citoyens de l’arrondissement qui souhaitent effectuer le changement, ainsi qu’un remboursement de 100 % (maximum de 75 $) pour les ménages à faible revenu (12).

Dans plusieurs pays, la suppression de la taxe sur les PHM confirme que, du moins dans ces pays, les PHM ne peuvent être considérés comme des objets de luxe. Au Québec, ces produits sont détaxés depuis 2015. Aux États-Unis, 25 états n’appliquent pas de taxe de vente sur les PHM. Assez étonnamment, une politique de l’Union européenne interdit aux pays membres d’abaisser la taxe sur les PHM en dessous de 5 %! (13) 

Vers une meilleure compréhension et accessibilité de l’hygiène menstruelle

Le choix d’un produit d’hygiène menstruel dépend de plusieurs facteurs, notamment de l’anatomie et de la physiologie (abondance des pertes), du mode de vie (sédentarité, pratique de sports), des préférences personnelles, de la sensibilité à la cause environnementale, de la publicité et, dans de nombreux cas, du budget disponible. Malgré la gêne qui entoure encore toute discussion sur le sujet, il est encourageant de constater que des progrès sont en cours concernant des aspects importants de l’hygiène menstruelle, tels que les aspects toxicologiques, environnementaux et la précarité menstruelle. 

Sources13
  1. J. Cardot, B. Crobeddu, M. Juarez, et A. McDermott Protection menstruelle : iniquités et toxicité. https://iss.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/31/2023/11/FR-Rapport-produits-menstruels-ISS_FINAL_2023.pdf. Consulté le 2 mai 2024. 
  2. FEMPO. Histoire et évolution des protections hygiéniques. https://fempo.co/blogs/news/histoire-des-protections-hygienique. Consulté le 2 mai 2024. 
  3. R. Léouzon. Les produits menstruels entre nécessité et environnement. Le Devoir, 22 nov. 2023. https://www.ledevoir.com/environnement/802403/produits-menstruels-plus-plus-nombreux-prendre-virage-vert. Consulté le 3 mai 2024. 
  4. Mayo Clinic. « Toxic Shock Syndrome ». https://www.mayoclinic.org/diseases-conditions/toxic-shock-syndrome/symptoms-causes/syc-20355384. Consulté le 3 mai 2024.
  5. INSERM. Choc toxique menstruel : Respecter les instructions d’usage des tampons pour limiter le risque. https://presse.inserm.fr/choc-toxique-menstruel-respecter-les-instructions-dusage-des-tampons-pour-limiter-le-risque/38602/ Consulté le 2 mai 2024. 
  6. E. Ménard. Est-ce que les tampons en coton bio sont meilleurs pour l’environnement?. 24 heures. 3 octobre 2023. https://www.24heures.ca/2023/10/03/des-tampons-en-coton-bio-cest-mieux-pour-lenvironnement-et-la-sante. Consulté le 3 mai 2024.
  7. P. Robitaille-Grou. Un cocktail chimique qui sème l’inquiétude. La Presse, 5 mars 2023. Consulté en ligne le 3 mai 2024. 
  8. Précarité menstruelle. https://rqasf.qc.ca/lefilrouge/precarite-menstruelle/ Consulté le 3 mai 2024. 
  9. C. Handfield. En route vers la gratuité des produits menstruels. La Presse, 2 octobre 2022. https://www.lapresse.ca/societe/sante/2022-10-02/en-route-vers-la-gratuite-des-produits-menstruels.php. Consulté le 3 mai 2024. 
  10. Gouv. Du Nouveau-Brunswick . « Free period products now available at public libraries».https://www2.gnb.ca/content/gnb/en/news/news_release.2023.07.0357.html 
  11. Radio-Canada Des produits menstruels gratuits maintenant à la disposition des employés fédéraux. 15 décembre 2023. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2035169/produits-menstruels-gratuit-employes-federaux. 
  12. Montréal. Demander une subvention pour l'utilisation de produits d'hygiène personnelle durables.22 mars 2024. https://montreal.ca/demarches/demander-une-subvention-pour-lutilisation-de-produits-dhygiene-personnelle-durables?arrondissement=MHM. Consulté le 3 mai 2024. 
  13. P. Pilas. Royaume Uni. Fin de la taxe de vente sur les produits d’hygiène féminine. La Presse Plus 2 janvier 2021. https://plus.lapresse.ca/screens/4163b93a-f670-4535-b9d6-9fa3a5a2d264%7C_0.html. Consulté le 5 mai 2024.
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique
Pendant une cinquantaine d’années, Raymond Lepage a agi comme biochimiste clinique responsable de laboratoires tant publics que privés. Professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, il a également été consultant, chercheur, expert juriste et conférencier. Auteur ou coauteur de plus de 100 publications parues dans des congrès et des revues scientifiques, il consacre désormais une partie de sa semi-retraite à la vulgarisation scientifique.