Science — 7 minutes
SmartBiotic s’attaque à la résistance aux antibiotiques: une problématique mondiale
La jeune pousse montréalaise SmartBiotic, finaliste de la compétition Phase B de Biron, met au point actuellement une application qui conseille la ou le médecin et qui prédit le meilleur traitement antibiotique personnalisé pour la patiente ou le patient. Une innovation particulièrement utile dans un contexte où nous développons de plus en plus de résistance aux traitements médicamenteux.
Mathieu Raad, M.D., CEO et Guillaume Collard, CTO
Un enfant de quatre ans vient de subir une chirurgie mineure dans un hôpital québécois. Comme cela peut arriver, la plaie s’est infectée, une complication souvent banale réglée à l’aide d’antibiotiques. Mais l’infection résiste, et l’enfant doit être admis aux soins intensifs. Plusieurs autres antibiotiques plus tard, l’infectiologue décide en dernier recours de prescrire un antibiotique puissant, mais rarement utilisé parce qu’il peut affecter les reins ou le foie.
Otites, maux de gorge, pneumonies, diarrhées, cellulites et infections de la peau, infections urinaires et même brûlures d’estomac: voilà quelques-unes des nombreuses infections dues à des bactéries qui touchent enfants et adultes. Si quelques infections bactériennes se résolvent spontanément, dans la grande majorité des cas, il faudra recourir à un antibiotique parmi les dizaines disponibles. La question est: lequel choisir?
Selon le Dr Naïm Oundali, pédiatre infectiologue au CHU Sainte-Justine de Montréal qui collabore au projet de SmartBiotic, la réponse à cette question n’est pas simple. «Il faut choisir l’antibiotique qui sera à la fois efficace et qui entraînera le moins d’effets secondaires. Souvent, ce choix doit être fait très rapidement et de façon empirique (essais et erreurs) avant même d’avoir obtenu de l’information sur la nature exacte de la bactérie en cause et sa sensibilité aux antibiotiques courants » dit-il.
Principaux critères sur lesquels se base la ou le médecin pour déterminer le médicament à prescrire
- Clinique: quel est l’organe touché (poumon, rein, oreille, etc.) et quelle est la gravité de l’infection?
- Situation épidémiologique locale: quelles sont les bactéries présentement actives dans la communauté et à quels antibiotiques sont-elles sensibles?
- Particularités de la patiente ou du patient: cette personne a-t-elle des antécédents d’allergies à la pénicilline?
Les considérations sur lesquelles la ou le médecin se base sont regroupées dans des guides de pratique standardisés qui lui indiquent le ou les premiers antibiotiques à privilégier. C’est ce qu’on appelle un traitement standard, ou «de première intention».
Quand le traitement de première intention ne fonctionne pas
Il arrive régulièrement, comme dans l’exemple plus haut, que ces traitements ne soient pas efficaces et que la situation clinique s’aggrave même si toutes les consignes ont été suivies. Le personnel soignant a alors à faire face à une bactérie qui a développé une résistance à l’antibiotique de première intention. Il doit donc recourir à des traitements et à des antibiotiques de deuxième, voire de troisième intention.
Conséquences des antibiotiques de deuxième ou de troisième intention
- Possibilité que des bactéries présentes sur le site d’infection développent à leur tour une résistance à ces antibiotiques et prolifèrent. On peut même en arriver à ce que la bactérie résiste à tous les antibiotiques connus1!
- Risque d’effets secondaires et coûts plus importants, jumelés à des modalités de traitement plus complexes comme des traitements par voie intraveineuse qui augmentent les besoins en main-d’œuvre.
Bien qu’elle soit en partie naturelle, la résistance aux antibiotiques est accélérée par une utilisation excessive et inadéquate des antibiotiques (antibiotiques employés dans le mauvais contexte, traitement aux antibiotiques interrompu avant la période prescrite, utilisation d’antibiotiques dans l’industrie alimentaire, etc.).
Le développement de la résistance aux antibiotiques est proportionnel à leur degré d’utilisation. Plus un antibiotique est utilisé, plus il est probable que les bactéries résistantes prolifèrent.
En 2019, la résistance aux antibiotiques aurait été directement responsable de 1,27 million de décès dans le monde[2]. Certaines projections laissent entrevoir que le problème ira en s’aggravant. On peut prévoir jusqu’à 10 millions de décès par année en 2050 dus à la résistance aux antibiotiques [3]. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), la résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces qui pèsent sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement [4].
Avec les voyages intercontinentaux et les déplacements de population, la situation épidémiologique dans tous les pays du monde évolue beaucoup plus rapidement qu’il y a 50 ans. Les guides de traitement de première intention doivent donc être constamment mis à jour pour que la ou le médecin puisse prendre une décision éclairée en fonction de la situation au moment où elle se présente et précisément là où elle se présente.
Même avec les guides de pratique, le traitement des infections prend souvent la forme d’essais-erreurs. Bien souvent, on pose un diagnostic avant même de connaître l’identité de la bactérie – le résultat de la culture et de l’antibiogramme prenant souvent de 24 à 48 heures à arriver.
Provenances principales de l’information que le ou la médecin utilise pour poser son diagnostic
- Examen clinique : symptômes versus diagnostics potentiels.
- Établissements publics comme le LSPQ (Laboratoire de santé publique du Québec) : a pour mission de colliger tous les cas de bactéries résistantes sur son territoire et d’en aviser régulièrement les hôpitaux pour qu’ils ajustent leurs techniques de détection et leurs guides thérapeutiques.
Il va de soi que la transmission des informations provenant des établissements publics n’est pas instantanée. Elle est par définition non personnalisée et présentée dans un format qui ne facilite pas son utilisation immédiate au chevet de la patiente ou du patient.
Un rapport publié par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) en septembre 2022 révèle que les recommandations officielles sont parfois suivies dans moins de 20% des cas pour les infections urinaires [5]. En 2018, plus de 5 000 décès au Canada étaient directement attribuables à la résistance aux antibiotiques, engendrant des coûts additionnels de 1,4 milliard de dollars pour le système de santé [6].
Une petite entreprise en démarrage franco-québécoise travaille présentement à la mise au point d’un outil qui pourrait aider les médecins à choisir le meilleur antibiotique en leur fournissant en temps réel tous les renseignements qui s’appliquent à la situation.
Le Dr Mathieu Raad, fondateur de SmartBiotic, a eu l’idée de développer cette approche lors de nombreux stages dans des hôpitaux de Madagascar et de la Martinique où, malgré la présence de bactéries totalement différentes, les traitements de première intention étaient les mêmes que ceux utilisés à Paris [7]!
L’idée de base est simple: évaluer, à l’aide de l’intelligence artificielle, la probabilité de réponse à une gamme d’antibiotiques dans une situation donnée à partir d’informations disponibles, mais pour l’instant peu conviviales. Et le tout, idéalement, de façon simple et immédiate, en «un clic» sur un téléphone intelligent. Le Dr Oundali élabore présentement des projets de recherche en collaboration avec SmartBiotic pour valider l’utilité de l’application au jour le jour en territoire québécois.
SmartBiotic était l’une des finalistes de la deuxième édition de Phase B, une initiative de Biron Groupe Santé visant à mettre en valeur le plein potentiel des innovateurs en santé.
Sources7
- Girard-Bossé, Alice. «La guerre aux superbactéries», La Presse, 6 février 2022. https://www.lapresse.ca/actualites/sciences/2022-02-06/science/la-guerre-aux-superbacteries.php
- Murray, Christopher J. L. et coll. «Global burden of bacterial antibacterial resistance in 2019: a systematic analysis», The Lancet, vol. 399, no 10325, p. 629-655, février 2022. https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext#%20
- O’Neill, Jim. Tackling drug-resistant infections globally: final report and recommendations, Review on Antimicrobial Resistance, Gouvernement du Royaume-Uni, 2016. https://amr-review.org/sites/default/files/160525_Final%20paper_with%20cover.pdf
- «Résistance aux antibiotiques», Organisation mondiale de la santé, 31 juillet 2020. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/antibiotic-resistance#:~:text=L'OMS%20accorde%20une%20grande,la%20Sant%C3%A9%20en%20mai%20201
- Fortin, Élise, Caroline Quach-Thanh, Marc Dionne, Alejandra Irace-Cima, Caroline Sirois, Marc Simard, Sonia Jean et Nadine Magali Ufitinema. Impact des maladies chroniques sur la prescription des antibiotiques selon les guides cliniques dans la communauté, Institut national de santé publique du Québec, 26 p., 7 septembre 2022, https://www.inspq.qc.ca/publications/28591
- Fortin, Élise, Caroline Quach-Thanh, Marc Dionne, Alejandra Irace-Cima, Caroline Sirois, Marc Simard, Sonia Jean et Nadine Magali Ufitinema. Impact des maladies chroniques sur les taux d’utilisation des antibiotiques dans la communauté, Institut national de santé publique du Québec, Surveillance des maladies chroniques, no 38, 26 p., 30 mars 2022, https://www.inspq.qc.ca/publications/2850
- Angevert, Luc. «Avec SmartBionic, nous voulons lutter contre l’antibiorésistance, mieux prescrire et sauver des vies», What’s Up Doc?, 19 avril 2022, mise à jour le 12 octobre 2022, https://www.whatsupdoc-lemag.fr/article/avec-smartbiotic-nous-voulons-lutter-contre-lantibioresistance-mieux-prescrire-et-sauver-des