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Science  —  10 minutes

Le glyphosate dans votre assiette

21 septembre 2020
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique

Après le Vietnam et l’Autriche (2019), puis la France (2022) et l’Allemagne (2023), la liste des pays qui ont décidé de bannir le glyphosate ou, à tout le moins, d’en limiter considérablement l’utilisation continue de s’allonger. Début septembre 2019, la Ville de Montréal s’ajoute à cette liste et s’engage à interdire l’utilisation du glyphosate sur l’ensemble de son territoire avant la fin de l’année 2019 (engagement reporté depuis à fin 2021)[1]. Au début du mois de juillet 2020, c’était au tour de la Ville de Québec de promettre d’emboîter le pas « dans la mesure du possible »[2]. Au Canada, l’utilisation du glyphosate sera autorisée jusqu’en 2030. Voici quelques points saillants pour mieux comprendre la situation entourant cet herbicide.

Qu’est-ce qu’un herbicide?

Par définition, un herbicide ou désherbant est un produit qui détruit les herbes, plus précisément les « mauvaises » herbes. Certains herbicides sont non sélectifs, et d’autres sont sélectifs.

Herbicides Non sélectifs Sélectifs
Pouvoir d’action Éliminent tous les végétaux, qu’ils soient utiles ou nuisibles. Éradiquent seulement les végétaux « nuisibles », sans toucher aux végétaux utiles.
Utilisation En agriculture, pour préparer le sol ou faciliter les récoltes, de même qu’en foresterie et en sylviculture, où ils servent de débroussaillants pour faciliter la croissance et le ramassage du bois. Pour l’entretien des pelouses et le contrôle des mauvaises herbes au jardin.

Il existe des herbicides naturels simples comme le sel de table et le vinaigre pour usage domestique dans le jardin ou encore pour éliminer les herbes qui poussent entre les dalles d’un patio. Ces herbicides inoffensifs sont cependant peu utiles sur de grandes surfaces agricoles ou forestières.

Qu’est-ce que le glyphosate?

Le glyphosate, mieux connu sous son nom de commerce original Roundup, est un herbicide non sélectif mis au point il y a une quarantaine d’années par la multinationale Monsanto (propriété depuis 2016 du géant Bayer). Contenu dans près de 200 produits vendus au Canada, dont plusieurs dizaines pour usage domestique (WeedMaster, WipeOut, etc.), le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé au pays[4].

Comment agit le glyphosate?

Le glyphosate empêche la croissance de tous les végétaux naturels (par opposition à certains végétaux modifiés génétiquement) en bloquant une enzyme (protéine) impliquée dans la synthèse d’acides aminés essentiels à la survie de la plante. L’enzyme végétale affectée par le glyphosate n’existe pas chez l’animal ou chez l’homme. En théorie, le glyphosate a donc une faible toxicité humaine, d’où son homologation dans les années 1970 au Canada et un peu partout dans le monde.

Présentement, selon Santé Canada, le glyphosate est homologué jusqu’en 2032 pour « […] être utilisé sur une grande variété de sites, y compris les cultures terrestres d’aliments destinés à la consommation humaine ou animale, les cultures terrestres et de fibres non destinées à la consommation humaine ou animale, et la gestion des mauvaises herbes en milieu non agricole, industriel et résidentiel pour les sites destinés à usages non alimentaires, les forêts et les terres à bois, les plantes ornementales extérieures et le gazon[3]. »

Préoccupations soulevées par le glyphosate

Avec les années, l’utilisation du glyphosate a considérablement augmenté sous l’effet de plusieurs facteurs, dont deux très importants : l’introduction de végétaux génétiquement modifiés pour résister aux herbicides et l’utilisation de plus en plus généralisée du glyphosate au moment des récoltes.

Introduction de végétaux génétiquement modifiés pour résister aux herbicides

Comme le glyphosate tue tous les végétaux, utiles ou nuisibles, Monsanto a mis au point des semences génétiquement modifiées (OGM) pour résister à l’action de son propre herbicide. L’introduction de maïs, de canola et de soja transgéniques au début des années 1990 a créé une véritable révolution dans le monde agricole. On estime qu’en 2018 au Québec, les cultures OGM représentaient plus de 88 % des cultures de maïs, 71 % des cultures de soja et plus de 90 % des cultures de canola, une progression spectaculaire en moins de 30 ans[5]! Quelles que soient les décisions des gouvernements concernant l’utilisation d’herbicides sur leur territoire, il ne sera assurément pas facile pour les agriculteurs de délaisser les semences OGM à grand rendement et le glyphosate tant que des solutions de rechange n’auront pas été trouvées, leur permettant de réaliser leurs objectifs. Déjà, la France promet d’interdire le glyphosate, mais seulement lorsqu’on aura trouvé des solutions de remplacement[6]. Plus près de nous, le premier ministre du Québec François Legault, bien que sensible aux dangers potentiels du glyphosate, entend « [...] consulter les agriculteurs aussi parce qu’il y a une question productivité, de compétitivité avec les agriculteurs qui sont de l’autre bord de la frontière... Donc ce n’est pas un sujet qui est simple[7]. »

Utilisation de plus en plus fréquente du glyphosate au moment des récoltes

L’autre préoccupation importante avec le glyphosate concerne sa présence dans l’alimentation. Avant l’introduction des semences OGM, le glyphosate était essentiellement utilisé pour tuer les mauvaises herbes pendant la saison morte, entre la récolte d’une année et les semis de l’année suivante. Il y avait donc en principe une contamination minimale des aliments exposés au glyphosate au moment de leur récolte, de nombreux mois plus tard. L’introduction des semences OGM a cependant encouragé l’utilisation du glyphosate tout au long de leur croissance. On utilise maintenant le glyphosate juste avant la récolte des plants OGM, mais aussi de plusieurs autres cultures pour accélérer le murissement, mieux les assécher et faciliter leur ramassage[8]. Cette pratique augmente inévitablement les taux de glyphosate contenus dans notre nourriture.

En 2015 et 2016, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a détecté des traces de glyphosate dans environ le tiers des 3 200 produits alimentaires qu’elle a testés[9]. Selon l’Agence, à peine 1,6 % des échantillons testés contenaient toutefois des taux de glyphosate supérieurs à la limite maximale autorisée. Mais même dans ce cas, la contamination ne représentait, dit-on, aucun danger pour la santé humaine[10].

Pourquoi vouloir bannir le glyphosate?

Depuis 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe le glyphosate dans le groupe des agents cancérigènes probables[11]. C’est en grande partie cette recommandation qui a poussé ou qui pousse plusieurs pays à bannir ou à limiter considérablement l’utilisation de l’herbicide de Bayer-Monsanto.

Un autre facteur qui a contribué à alimenter les craintes du public est les efforts constants de Monsanto pour défendre l’innocuité de son produit vedette. Des pratiques douteuses, dont celle du « ghostwriting » (études réalisées par Monsanto et contresignées moyennant rétribution par des scientifiques n’y ayant pas participé), ont été dévoilées au cours de deux procès intentés par des agriculteurs américains atteints d’une leucémie qu’ils attribuent au glyphosate. On a donné le nom de « Monsanto Papers » à ces documents internes de Monsanto[12].

Faire doser son glyphosate urinaire, c’est utile?

Bien que le dosage soit offert dans certains laboratoires spécialisés utilisant la spectrométrie de masse, on ne dispose pas actuellement de techniques fiables et facilement accessibles pour le dosage dans la population générale. De plus, il n’existe pas encore de critères pour interpréter les résultats. Quel taux est négligeable, quel taux est suspect? Comme il n’y a pas non plus de traitement pour neutraliser ou faire baisser les taux de glyphosate, le dosage demeure actuellement utile chez les individus exposés de façon régulière à du glyphosate concentré, surtout pour les aider à améliorer leurs méthodes de protection individuelle.

Entretemps, il ne fait plus de doute que, compte tenu de l’ampleur de son utilisation, qu’un peu de glyphosate va se retrouver dans nos assiettes et, par la suite, dans nos urines. Avec l’amélioration des techniques de détection, il faut s’attendre à en retrouver chez un nombre croissant d’individus, même s’ils évitent scrupuleusement les aliments génétiquement modifiés[13].

Dans le doute, la prudence est de mise

Est-ce que ces traces de glyphosate peuvent causer le cancer, le Parkinson ou une autre maladie insidieuse? La réponse est loin d’être claire. En attendant un verdict plus définitif, plusieurs pays, municipalités et groupes environnementalistes préconisent le principe de précaution. Pour le grand public, ce principe voudrait que l’industrie agroalimentaire utilise davantage de produits reconnus sans danger. En attendant d’en arriver à un verdict clair sur les effets du glyphosate sur l’humain, l’alimentation biologique s’avère une solution intéressante aux yeux de plusieurs.

Pour les raisons énumérées dans le paragraphe « Faire doser son glyphosate urinaire, c’est utile? », Biron n’offre pas le service de dosage du glyphosate.

Sources13
  1. TVA Nouvelles, « Montréal va interdire le glyphosate sur son territoire. », le 5 septembre 2019. https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/05/montreal-va-interdire-le-glyphosate-sur-son-territoire. [Source consultée le 17 août 2020].
  2. Radio-Canada, « La Ville de Québec veut bannir le glyphosate de ses activités », le 5 juillet 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1717227/ville-quebec-interdiction-restriction-glyphosate-roundup. [Source consultée le 17 août 2020].
  3. Santé Canada, « Décision de réévaluation RVD2017-01, Glyphsate ». https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/securite-produits-consommation/rapports-publications/pesticides-lutte-antiparasitaire/decisions-mises-jour/decision-homologation/2017/glyphosate-rvd-2017-01.html#a4. [Source consultée le 17 août 2020].
  4. Carex Canada, « Glyphosate ». https://www.carexcanada.ca/fr/profile/glyphosate/. [Source consultée le 17 août 2020].
  5. Gouvernement du Québec, « OGM en chiffres ». http://www.ogm.gouv.qc.ca/ogm_chiffres/importance_cultures.html. [Source consultée le 17 août 2020].
  6. Le Monde, « Macron réaffirme que la France interdira le glyphosate « au plus tard dans trois ans », le 28 novembre 2017. https://www.lemonde.fr/europe/article/2017/11/27/la-commission-europeenne-autorise-l-utilisation-du-glyphosate-jusqu-en-2022_5221037_3214.html. [Source consultée le 17 août 2020].
  7. TVA Nouvelles, « Pesticides et autisme, grave et inquiétant, dit François Legault », le 5 septembre 2019. « https://www.tvanouvelles.ca/2019/09/05/pesticides-et-autisme-grave-et-inquietant-dit-francois-legault-1. [Source consultée le 17 août 2020].
  8. Glyphosate Renewal Group, « Glyphosate Scientific Dossier Submitted ». https://www.glyphosateeu.fr/applications-en-prerecolte-pour-le-controle-des-mauvaises-herbes-et-la-dessiccation. [Source consultée le 17 août 2020].
  9. Radio-Canada « 5 questions sur le glyphosate », le 25 octobre 2017. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1063232/cinq-questions-glyphosate-pesticides-herbicides-monsanto. [Source consultée le 17 août 2020].
  10. Gouvernement du Canada, « Sauvegarder grâce à la science : Dépistage du glyphosate en 2015-2016 ». http://www.inspection.gc.ca/aliments/residus-chimiques-microbiologie/bulletins-d-enquete-sur-la-salubrite-des-aliments/2017-04-13/sommaire/depistage-du-glyphosate/fra/1491846907641/1491846907985. [Source consultée le 17 août 2020].
  11. Organisation mondiale de la santé, « IARC Monographs Volume 112: evaluation of five organophosphate insecticides and herbicides », le 20 mars 2015. https://www.iarc.fr/wp-content/uploads/2018/07/MonographVolume112-1.pdf. [Source consultée le 17 août 2020].
  12. Le Monde, « Les Montsanto Papers, à la base de la controverse sur le glyphosate », le 11 août 2018. https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/08/11/les-monsanto-papers-a-la-base-de-la-controverse-sur-le-glyphosate_5341505_3244.html. [Source consultée le 17 août 2020].
  13. La Presse, « Un pesticide jusque dans votre urine », le 17 juin 2020. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2020-06-17/un-pesticide-jusque-dans-votre-urine. [Source consultée le 17 août 2020].
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique
Pendant une cinquantaine d’années, Raymond Lepage a agi comme biochimiste clinique responsable de laboratoires tant publics que privés. Professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, il a également été consultant, chercheur, expert juriste et conférencier. Auteur ou coauteur de plus de 100 publications parues dans des congrès et des revues scientifiques, il consacre désormais une partie de sa semi-retraite à la vulgarisation scientifique.