Science — 7 minutes
Des suppléments de vitamine qui interfèrent avec les tests de laboratoire
Les biochimistes qui dirigent les laboratoires diagnostiques en milieu hospitalier ou en milieu privé savent depuis des années que beaucoup de situations peuvent entraîner des interférences dans les analyses de laboratoire. Ce qu’ils n’arrivent pas à faire, c’est diffuser cette information d’abord aux médecins puis au public en général. Les professionnels de laboratoire réagissent le plus souvent au cas par cas, généralement suite à la plainte d’un médecin et parfois d’un patient lui-même qui va trouver un ou plusieurs résultats contradictoires à l’occasion d’un changement de laboratoire ou encore d’un résultat qui ne colle pas avec la clinique.
Mon expérience de directeur de laboratoire m’indique cependant que les cas qui nous sont rapportés ne constituent qu’un faible pourcentage de l’ensemble des résultats « erronés » que nous pouvons produire. Dieu soit loué, un grand nombre de médecins préfèrent toujours traiter des patients plutôt que des résultats de laboratoire, mais il y a quelques exceptions notables.
Les interférences dans les analyses de laboratoire
C’est un article récent publié dans l’édition de décembre de Clinical Chemistry News qui m’incite à aborder le sujet des interférences dans les analyses de laboratoire. Giuseppe Barbesino du Harvard Medical School y rapporte que des suppléments de biotine (Vitamine B8) en vente libre dans les pharmacies et supermarchés peuvent interférer avec des essais de laboratoire utilisant la biotine comme réactif. Il faut savoir d’une part que les essais de laboratoire utilisant un tel réactif sont très nombreux et très variés : hormones, marqueurs de cancer ou de maladies infectieuses, indicateurs d’infarctus du myocarde, tests de grossesse, médicaments et drogues, protéines spécifiques de tous genres, etc. Il faut savoir d’autre part que la proportion d’individus qui prennent des suppléments de vitamine n’est pas négligeable : il n’y a qu’à voir la quantité d’informations vraies et fausses véhiculées sur Internet ou votre chaîne de télévision favorite pour suspecter l’ampleur du problème.
Les manufacturiers de trousses de laboratoire connaissent ces interférences et ajoutent des mises en garde à ce sujet dans les notices d’utilisation. Ces informations sont méticuleusement recopiées dans les procédures normalisées de tout laboratoire digne de ce nom. Mais…
Je ne pourrais vous citer un seul laboratoire qui indique systématiquement la possibilité de cette interférence, ni au moment du prélèvement ni au niveau du rapport au médecin. Et même si on le voulait, les cliniciens utilisent de plus en plus des dossiers médicaux électroniques qui ne permettent pas de retranscrire de façon pertinente ces informations. Il en est de même pour le dossier santé du MSSS (DSQ) qui ne transfère que la donnée numérique accompagnée de ses valeurs de référence.
Dépendamment de la nature de la réaction chimique utilisée, les interférences peuvent soit augmenter, soit diminuer la concentration de la molécule analysée. Si le médecin va pouvoir réagir à un résultat incongru, il ne pourra aussi facilement réagir à un résultat « faussement » négatif. Cette observation pourrait conduire à un diagnostic retardé (combien d’entre vous voient leur médecin plus d’une fois par année?) sans que jamais le laboratoire ne soit « blâmé » pour ce retard.
Les interférences dans les dosages hormonaux
Il y a une dizaine d’années, je m’étais intéressé aux interférences dans les dosages hormonaux et j’avis suivi une série de présentations sur les celles impliquant les tests de grossesse sanguins (dosage du HCG total ou du HCG bêta sérique). Lawrence A. Cole et Sarah A. Khanlian avaient décrit 58 cas d’interférence dans ce dosage spécifique. La présence de l’hormone de grossesse dans le sang, même en petite quantité, chez une patiente non enceinte à l’échographie est considérée comme une condition sérieuse (possibilité d’un cancer sécrétant l’hormone). Dans la série des 58 cas de Cole et Khanlian, 47 des 58 patientes avaient subi une intervention inappropriée allant d’un curetage et d’un traitement au methotrexate pour les plus chanceuses à une hystérectomie, ovariectomie ou polychimiothérapie (de celle qui rend malade et fait tomber les cheveux) pour les moins chanceuses. Une patiente avait même subi une thoracotomie (ouverture de la cage thoracique) à la recherche d’éventuelles métastases d’un cancer de prime abord inexistant!
Alors que j’étais en poste au CHUS, une patiente avait été référée de Trois-Rivières pour investigation d’une maladie thyroïdienne très rare. Il s’est avéré que ce diagnostic était fondé sur des interférences dans le dosage des hormones thyroïdiennes. Avec la collaboration d’André Audet, biochimiste à Trois-Rivières, nous avions fait doser les hormones thyroïdiennes dans une demi-douzaine de laboratoires différents obtenant des valeurs tirant dans tous les sens! Intrigué par tant de variation, nous avions vérifié si cette interférence pouvait affecter d’autres tests et nous avions trouvé, à notre plus grande stupéfaction, que l’interférence se reproduisait dans un test (la troponine) qui indiquait à coup sûr que notre patiente faisait un infarctus aigu sévère!
Ces interférences étaient dues à la présence d’anticorps interférant dans le sang de cette patiente, de même que celui des patientes américaines de l’étude Cole et Khanlian. Comme la plupart des dosages en cause impliquaient des anticorps provenant de souris ou de chèvre comme réactif (essais « immunologiques), les interférences pouvaient être dues à un contact antérieur avec la salive de ces animaux (morsures, contact plus prolongé dans des élevages, etc.), une sorte de vaccination accidentelle. Qui se souvient d’avoir été mordu par une souris alors qu’il était enfant? Est-ce que votre médecin vous demande si vous avez été élevé sur une ferme d’élevage de chèvres? Il y avait des interférences encore moins prévisibles dues à la présence chez chaque individu d’anticorps non spécifiques appelés « anticorps idiopathiques ». Si les compagnies diagnostiques arrivent à neutraliser les anticorps d’origine animale (comme ceux de souris ou ceux de chèvre), la situation est plus difficile avec ces anticorps idiopathiques, et c’était le cas chez les 47 patientes avec résultat erroné dans le dosage de l’hormone de grossesse.
Autres sources d'interférences
Il existe de multiples autres sources d’interférence dans les analyses de laboratoire qu’il serait trop long d’énumérer dans ce texte. Dans l’ensemble, le pourcentage de telles erreurs serait de l’ordre de 0,1 % des tests, dont la moitié affectant des tests immunologiques. Un détail? Ce très faible pourcentage d’interférences imprévisibles représente quand même entre 1000 et 2000 résultats erronés par année pour un établissement comme le CHUM, donc plus de 5 par jour. Combien pour le Québec en entier?
Je me souviens, dans le cas de la patiente référée au CHUS, avoir tenté d’indiquer de façon efficace que celle-ci pouvait connaître des interférences dans la moitié de ces tests de laboratoire. Comment faire? Comment libeller un bracelet de type MedicAlert à cette fin? « Madame X est porteuse d’anticorps pouvant interférer avec tous les tests de laboratoire utilisant des anticorps comme réactifs »? Les médecins ne savent même pas quels sont les tests qui utilisent cette technique.
La solution ne peut passer que par la sensibilisation des intervenants (médecins et infirmières) au sujet des interférences. Pour les biochimistes et autres professionnels du laboratoire, la possibilité de ces interférences devrait nous amener à une grande humilité devant la solidité des résultats produits : malgré toutes les précautions que nous prenons, nos programmes de contrôle de qualité très élaboré, ces interférences restent le plus souvent indétectables! La même humilité devrait nous amener à toujours chercher la source des résultats inopinés qui nous sont rapportés : il est bien possible que, comme pour la patiente du CHUS, l’interférence rapportée s’applique à bien d’autres tests.