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Centre du savoir — 8 minutes

Quand l’intelligence artificielle transforme la radiologie

18 mars 2025

Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique

IA-imagerie-médical

La radiologie

Parmi les technologies clés en médecine, la radiologie telle que les rayons X, les scans et la résonance magnétique occupent une place centrale dans l’établissement des diagnostics. La radiologie permet de produire des images, en deux ou trois dimensions, le plus souvent fixes, mais parfois aussi dynamiques. Tout comme les biopsies sont analysées au microscope par des pathologistes, les images radiologiques doivent être interprétées visuellement, une à une, par des radiologistes. Quel que soit le niveau de formation de ces spécialistes, cette vérification demeure fastidieuse, et la sensibilité de l’analyse est limitée par la capacité de l’œil à percevoir les plus petits détails.

L’intelligence artificielle et l’analyse d’images

Depuis quelques années, on entend de plus en plus parler de l’intelligence artificielle (IA). Il s’agit d’un ensemble de techniques capables de simuler notre intelligence, notamment pour apprendre, raisonner, résoudre des problèmes et prendre des décisions. Depuis les débuts de l’IA, l’une de ses grandes forces est l’analyse d’images. La reconnaissance faciale, par exemple, est aujourd’hui largement utilisée pour déverrouiller nos appareils électroniques, pour entrer dans des lieux réservés ou encore comme outil de sécurité pour plusieurs gouvernements et commerces à travers le monde.

Mais comment l’IA peut-elle nous reconnaître dans une foule, à partir d’une image plus ou moins complète de notre visage? Elle y parvient en enregistrant, dans d’immenses bases de données, des caractéristiques mesurables du visage, tel que la distance entre les pupilles, la forme des oreilles ou du nez et la couleur de la peau. Des ordinateurs puissants peuvent ensuite comparer, presque instantanément, les données de notre visage avec celles qui sont contenues dans leurs bases de données.

La notion de « base de données » et la capacité à faire des comparaisons sont deux caractéristiques de l’IA pouvant être exploitées en médecine. Une autre force importante de l’IA est sa capacité à apprendre à créer de nouvelles associations. Par exemple, elle pourrait établir des liens entre la croissance d’une lésion et des caractéristiques comme la densité, l’homogénéité, la netteté des bordures ou la distance entre certains éléments. Ces paramètres peuvent varier d’une lésion à l’autre, mais l’IA est en mesure de les analyser à grande échelle pour en tirer des corrélations pertinentes.

La radiomique

Comme toutes les images affichées à l’écran, celles qui sont produites par les techniques radiologiques sont en deux dimensions, comme les épreuves radiographiques des poumons ou des os, et peuvent être décomposées en pixels. Si les images sont en trois dimensions, comme c’est le cas pour la tomodensitométrie, également appelée scan, on parle alors de voxels – l’équivalent tridimensionnel des pixels. Une section de scan démontrant par exemple une tumeur peut contenir des millions de voxels. Cependant, notre œil est incapable d’analyser des combinaisons complexes de ces petits groupes de pixels. C’est à ce moment que l’IA devient un outil d’analyse précieux, car elle peut interpréter ces derniers et en tirer des informations. [1]

C’est ainsi qu’est née la radiomique, une approche qui consiste à extraire un très grand nombre de caractéristiques et de mesures à partir d’images radiologiques. Ces données sont ensuite analysées par l’IA pour construire des modèles de classification ou de prédiction des maladies.

La radiomique et le cancer

C’est sur le plan du diagnostic et du suivi des cancers que la radiomique démontre actuellement le plus grand potentiel. L’image présentée au radiologiste révèle-t-elle des anomalies significatives? Si oui, de quel type? Dans un contexte de suivi de cancer, de lésions ou d’anomalies suspectes, observons-nous des changements par rapport à l’examen précédent? Ces questions sont loin d’être banales. Pourtant, les réponses sont parfois difficiles à repérer à l’œil nu. Grâce à l’IA, il est possible de détecter certains cancers plus précocement. Cela ouvre la voie à des traitements plus précoces… mais entraîne également un risque de surdiagnostic.

La détection précoce du cancer du sein

Une étude norvégienne publiée en octobre 2024 a montré que l’analyse de la mammographie combinée à l’aide de l’IA permet d’identifier, parmi les femmes ayant reçu un résultat négatif, celles qui présentaient un risque plus élevé d’être atteintes d’un cancer du sein dans les quatre à six années suivantes. Dans cette étude, on a comparé les résultats de trois mammographies réalisées tous les deux ans chez plus de 116 000 femmes. L’IA a pu repérer aisément non seulement les résultats anormaux, mais aussi certains signes subtils passés inaperçus lors de l’analyse initiale qui étaient associés à un risque plus important de développer un cancer du sein dans les quatre à six années suivantes [2]. D’après ces résultats, il est facile d’imaginer que les femmes les plus à risque bénéficieront d’une surveillance accrue!

L’optimisation du flux de travail des radiologistes.

L’interprétation des images radiologiques se fait une à une par les radiologistes, en deux étapes  :

  1. Repérer les images suspectes et mettre de côté celles ne présentant aucune particularité.
  2. Effectuer un examen plus approfondi des radiographies suspectes.

L’IA peut grandement aider les radiologistes lors de la première étape en triant les images, ce qui leur permet de gagner du temps et de se concentrer sur les cas les plus complexes. Aussi, l’IA ayant le potentiel d’extraire des informations à partir d’un plus petit nombre d’images, cela pourrait réduire la durée des analyses.

Certaines applications de la radiologie suggèrent que, pour une qualité optimale, chaque image soit analysée par deux radiologistes. Il est cependant difficile d’imaginer que cette politique d’assurance qualité puisse être appliquée à l’ensemble des radiographies produites au Québec. Dans ce contexte, on peut envisager que l’IA agisse comme un observateur de rechange, optimisant ainsi davantage le flux de travail des radiologistes.

L’amélioration de la gestion des cliniques de radiologie

L’IA peut non seulement aider à l’interprétation des images, mais aussi aider à optimiser l’organisation du travail au sein des cliniques et des services de radiologie. Elle peut, par exemple, contribuer à la gestion du travail des technologues et du personnel de soutien. Elle peut aussi favoriser la détection précoce de problèmes liés à l’équipement.

Les limites de l’IA en radiologie

L’utilisation de l’IA en médecine soulève plusieurs problèmes, notamment d’ordre éthique [3].

En effet, l’IA repose sur l’analyse de données provenant de milliers de personnes. Plusieurs d’entre elles ne seraient pas à l’aise de savoir que leurs données médicales sont utilisées à leur insu à des fins de comparaison.

Un autre problème posé par l’IA est son manque d’explicabilité. La plupart du temps, nous ignorons les bases qui ont servi à construire son algorithme décisionnel. Cette ignorance peut dissimuler plusieurs enjeux, notamment le risque de discrimination envers certaines populations minoritaires comme les personnes noires ou autochtones, souvent sous-représentées dans les banques de données disponibles.

Cela soulève plusieurs questions importantes : qui est responsable en cas d’erreur générée par l’IA? Les radiologistes ou l’entreprise ayant développé le logiciel? Et si l’IA n’est pas déployée de manière uniforme d’une clinique à l’autre, est-ce que cela pourrait accentuer les inégalités sociales selon les ressources disponibles?

Bref, tous ces enjeux mettent en lumière les limites à prendre en considération lors de l’utilisation de l’IA dans les milieux médicaux.

En bref

L'intelligence artificielle en médecine, dont son utilisation en radiologie, transforme les soins de santé en augmentant la précision et la rapidité des diagnostics. Si elle pose certains défis, notamment en matière d'éthique et de compréhension des modèles, ses avantages à court terme sont clairs : une détection précoce, une meilleure gestion des cas complexes et un soutien accru pour les professionnels de santé. Il y a peu de doute que la radiomique, ce mariage entre l’IA et la radiologie, fait partie des innovations prometteuses, dans la mesure où nous gardions un sain niveau de vigilance.

Sources3
  1. R.J. Gillies, P.E. Kinahan et H. Hricak. Radiomics: Images Are More than Pictures, They Are Data. Radiology. Février 2016, vol. 278, no 2, p. 563-577. DOI : 10.1148/radiol.2015151169. Consulté le 18 mars 2025.
  2. J. Gjesvik J, N. Moshina, C.I. Lee, et coll. Artificial Intelligence Algorithm for Subclinical Breast Cancer Detection. JAMA Netw Open. 2024;7(10): e2437402. doi:10.1001/jamanetworkopen.2024.37402. Consulté le 17 mars 2025.
  3. J.T. Martineau et F.R. Godin. Tour d’horizon des enjeux éthiques liés à l’IA en santé. Éthique publique. Le 3 novembre 2023 | 2023, http://journals.openedition.org/ethiquepublique/7978; DOI : https://doi.org/10.4000/ethiquepublique.7978. Consulté le 17 mars 2025.