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Parole de spécialiste — 10 minutes

Cancer colorectal et microbiome : des liens plus qu’intéressants!

28 mars 2024

Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique

La Société canadienne du cancer mène présentement une grande campagne intitulée : « Ensemble, détrônons le cancer du côlon » (1). Le cancer colorectal (CRC) est en effet le deuxième cancer le plus mortel au Québec. Grâce à la récente modification du Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), qui permet désormais d’effectuer une recherche de sang dans les selles sans ordonnance médicale, nous disposons d’un outil précieux de dépistage qui pourrait contribuer à détrôner le CRC de sa deuxième position.

Quels sont les facteurs de risque du cancer du côlon?

Au fil des ans, la recherche a identifié les principaux facteurs de risque de développer un CRC. Outre les risques génétiques, plusieurs éléments liés à notre alimentation et à notre mode de vie sont en cause (2) :

  • comportement sédentaire, inactivité physique, surpoids et obésité;
  • consommation d’alcool et tabagisme;
  • régime alimentaire riche en viandes rouges et transformées et/ou pauvre en fibres;
  • consommation d’aliments cuits à haute température;
  • maladies inflammatoires de l’intestin (comme la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse);
  • diabète.

Le mot « microbiome » ne figure pas dans cette liste de facteurs de risque. Cependant, au cours des 10 dernières années, de nombreuses études ont établi des liens étroits entre plusieurs de ces facteurs de risque et la santé de notre microbiome, et par extension, avec le développement du cancer colorectal.

Micro quoi? Microbiome ou microbiote!

Le microbiome, également nommé microbiote, désigne l’ensemble des microorganismes tels que les bactéries, les virus, les moisissures et leur matériel génétique vivant normalement dans notre organisme, en particulier dans notre tube digestif. Dans le corps humain, il y a autant d’organismes microbiens que de cellules humaines, ce qui souligne l’importance cruciale du microbiome pour notre santé. Sa diversité est remarquable : seulement pour les bactéries, on recense plus de 1000 espèces différentes dans le corps d’un humain normal, sans compter les virus, les moisissures et toutes les interactions entre ces différents microorganismes (3). La composition du microbiome intestinal se forme progressivement chez le nouveau-né, d’abord par les premiers contacts avec la flore vaginale et fécale de la mère lors d’un accouchement par voie vaginale, ou avec les microorganismes de l’atmosphère lors d’une naissance par césarienne. Elle se développe ensuite sous l’influence de l’alimentation, de la génétique, du niveau d’hygiène, de l’environnement et de certains traitements comme les antibiotiques (4). Bien que de nombreux types de microorganismes se retrouvent chez la plupart des êtres humains, les différences entre chaque personne sont si importantes que le microbiome est parfois comparé à des empreintes digitales (4)!

Le microbiome, l’alimentation et les habitudes de vie

Parmi les nombreux facteurs connus pour entraîner une modification du microbiome (génétiques, alimentaires et autres), plusieurs se retrouvent également dans la liste des facteurs de risque de cancer colorectal.

  • L’obésité peut modifier la composition du microbiome.
  • Les maladies inflammatoires de l’intestin peuvent entraîner une activation inappropriée de la réponse immunitaire dans l’intestin.
  • L’exercice physique peut augmenter la diversité et de la proportion de bonnes bactéries (5).
  • La consommation de viandes rouges peut favoriser l’augmentation de bactéries néfastes pour la santé et la sécrétion de toxines (6).
  • La consommation d’alcool peut modifier la composition du microbiome et entraîner la sécrétion d’endotoxines (7).

Ainsi, il n’est pas surprenant que des modifications du microbiome (dysbiose) soient désormais considérées comme un facteur de risque significatif, voire pivotal, pour le développement d’un cancer colorectal (8).

Que révèle le microbiome?

La relation entre la composition du microbiome et le risque de CRC est si étroite que certains chercheurs croient qu’une analyse de la composition du microbiome pourrait prédire avec une bonne certitude le risque de développer un CRC (9,10). Cette analyse complexe n’est cependant pas encore suffisamment développée pour être utilisée en médecine.

Quel est le rôle du microbiome lors de la guérison d’une chirurgie intestinale?

L’an dernier, un groupe de chercheurs du CHUM a publié une étude. Chez la souris, une modification du microbiome avant une chirurgie intestinale réduirait les complications post-opératoires chez des sujets atteints d’un CRC (11). Ainsi, en modifiant le microbiome de la souris pour diminuer le contenu de la bactérie nuisible et augmenter celui de la bactérie utile, les chercheurs ont observé une amélioration de la cicatrisation de l’intestin. Or, dans la réalité, près d’un patient sur trois ayant subi une chirurgie pour un CRC présente des complications post-opératoires graves liées à des fuites causées par une mauvaise cicatrisation de la barrière intestinale. Ces complications se manifestent sous forme d’inflammation, d’infections sévères ou de récidives du cancer. Les chercheurs ont pu identifier plus spécifiquement une souche de bactéries responsable de ces fuites, ainsi qu’une autre souche de bactéries qui, au contraire, favorise la cicatrisation.

Ces résultats sont prometteurs dans un domaine où la recherche est actuellement peu présente (12). La technique utilisée chez la souris consistait à « transplanter » les selles d’un animal ayant bien cicatrisé après une chirurgie chez une autre souris avant sa propre chirurgie. Cette approche de transplantation fécale (FMT) est moins évidente chez les humains, bien que cette technique soit déjà utilisée pour traiter les infections récurrentes à C. difficile (13). Il est plus facile de trouver un donneur humain non infecté par C. difficile que de trouver un donneur ayant la bonne proportion de bactéries bénéfiques et nuisibles. De plus, il faudra encore mener de nombreuses recherches pour déterminer le bon mélange de prébiotiques et de probiotiques qui sera efficace chez la majorité des patients.

Et qu’en est-il du dépistage du cancer colorectal?

Le « diagnostic » d’un CRC est officiellement établi par le rapport du pathologiste qui examine au microscope du tissu prélevé lors d’une biopsie (lors d’une coloscopie ou d’une chirurgie). Le dépistage du CRC, quant à lui, vise à identifier, au sein d’une population large, les personnes présentant un risque accru de développer un CRC avant l’apparition des symptômes spécifiques, justifiant ainsi la réalisation d’une coloscopie. Pour être efficace, un programme de dépistage doit reposer sur l’utilisation d’une technique simple, mais sensible, peu coûteuse et facilement accessible. Seules les personnes présentant un risque élevé ou ayant obtenu un résultat de test de dépistage positif sont orientés vers des examens plus invasifs, coûteux et moins accessibles.

Qu’entend-t-on par « sang occulte » dans les selles?

Plus les polypes intestinaux sont gros, plus ils sont susceptibles d’être accompagnés de pertes minuscules de sang dans les selles, qui ne sont pas visibles à l’œil nu. C’est pourquoi on qualifie ces pertes d’occultes.

Depuis une dizaine d’années, la recherche de sang occulte dans les selles est réalisée à l’aide d’un anticorps qui détecte l’hémoglobine humaine dans un petit échantillon de selles. Cette méthode a permis d’éliminer à la nécessité de suivre des régimes spéciaux, notamment l‘abstention de viandes rouges pendant plusieurs jours, qui était nécessaire avec le test de gaïac, une ancienne méthode de détection. La recherche de sang occulte dans les selles par technique immunologique (RSOSi) présente donc toutes les qualités d’une technique de dépistage : elle est simple, sensible et peu coûteuse. Jusqu’à récemment, son principal inconvénient était son accès limité, nécessitant une prescription médicale. Cependant, cette barrière a été levée, pour les personnes âgées entre 50 et 74 ans, considérées comme étant les plus à risque de développer un CRC (14). Elles peuvent désormais bénéficier de ce dépistage tous les deux ans. Ces tests sont disponibles dans plusieurs cliniques du réseau de la santé ainsi que dans des laboratoires privés.

En cas de diagnostic de cancer colorectal, le patient rencontre l’équipe de soins afin de discuter du traitement. Il peut s’agir d’une chirurgie, d’une chimiothérapie ou d’une combinaison des deux, selon l’emplacement de la tumeur, l’endroit où le cancer est réapparu (cas de récidive), le stade du cancer, ainsi que l’état de santé général et le choix du patient.

Vous avez des inquiétudes à propos du cancer colorectal? Remplissez notre bref questionnaire pour confirmer votre admissibilité au programme de dépistage et commander votre trousse.

Sources14
  1. Société canadienne du cancer. Ensemble détrônons le cancer du côlon. https://cancer.ca/fr/cancer-information/reduce-your-risk/explore-prevention-programs/detronons
  2. Biron. Petit guide Biron sur le cancer colorectal. https://www.biron.com/fr/centre-du-savoir/petit-guide-biron/cancer-colorectal
  3. National Institute of Environmental Health Sciences (NIH). “Microbiomeʺ https://www.niehs.nih.gov/health/topics/science/microbiome
  4. INSERM. Microbiote intestinal (Flore intestinale). https://www.inserm.fr/dossier/microbiote-intestinal-flore-intestinale/
  5. V. Monda V, I. Villano I, A. Messina, A.Valenzano et coll. ʺ Exercise Modifies the Gut Microbiota with Positive Health Effects”. Oxid Med Cell Longev. 2017;2017:3831972. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5357536/
  6. C. Lee, J.Lee, JK Eor, MJ Kwak et coll. “Effect of Consumption of Animal Products on the Gut Microbiome Composition and Gut Health”. Food Sci Anim Resour. 2023 Sep;43(5):723-750. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10493557
  7. F. Bishehsari, E. Magno, G. Swanson, V. Desai et coll. ʺAlcohol and Gut-Derived Inflammationʺ. Alcohol Research Vol. 38, no 2, p. e1-e9. https://arcr.niaaa.nih.gov/volume/38/2/alcohol-and-gut-derived-inflammation
  8. M. Rebersek. “Gut microbiome and its role in colorectal cancer”. BMC Cancer 21, 1325 (2021). https://doi.org/10.1186/s12885-021-09054-2
  9. E. Bailey. “Gut Microbiome variation could predict colon cancer risk, new study finds”. https://www.medicalnewstoday.com/articles/gut-microbiome-variations-could-predict-colon-cancer-risk-new-study-finds
  10. R. Hajar, E. Gonzalez, G. Fragoso, M. Oliero et coll. “Gut microbiota influence anastomotic healing in colorectal cancer surgery through modulation of mucosal proinflammatory cytokines”. Gut, Vol. 72, no 6. https://gut.bmj.com/content/72/6/1143
  11. CRCHUM. Chirurgie du cancer colorectal: le microbiote intestinal influence la guérison. 31 janvier 2023. https://www.chumontreal.qc.ca/actualites/chirurgie-cancer-colorectal-microbiote-intestinal-influence-guerison
  12. Cleveland Clinic. ʺFecal Transplant”. https://my.clevelandclinic.org/health/treatments/25202-fecal-transplant
  13. Le Devoir. Cancer colorectal: nouvel outil de dépistage.5 février 2024. https://www.ledevoir.com/societe/sante/806631/nouvel-outil-depistage-cancer-colorectal-est-desormais-offert-quebecois
  14. Biron. Dépistage du cancer colorectal. Termes et conditions. https://www.biron.com/fr/laboratoire/depistage-cancer-colorectal/termes-et-conditions
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Raymond Lepage, Ph. D., Docteur en biochimie
Vulgarisateur scientifique
Pendant une cinquantaine d’années, Raymond Lepage a agi comme biochimiste clinique responsable de laboratoires tant publics que privés. Professeur agrégé de clinique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé à l’Université de Sherbrooke, il a également été consultant, chercheur, expert juriste et conférencier. Auteur ou coauteur de plus de 100 publications parues dans des congrès et des revues scientifiques, il consacre désormais une partie de sa semi-retraite à la vulgarisation scientifique.