Parole de spécialiste — 8 minutes
Alcool et médicaments : méchant cocktail!
11 juillet 2025

Au Québec, plus de 80 % des gens consomment de l’alcool, et plus du quart d’entre eux le font de façon abusive [1]. Par ailleurs, au Canada, plus de 55 % de la population âgée de 18 à 79 ans, et 80 % de celle âgée de plus de 60 ans prennent des médicaments sur ordonnance [2]. À cela s’ajoute la consommation courante de médicaments en vente libre comme l’acétaminophène, que l’on retrouve dans plusieurs centaines de produits utilisés pour soulager la douleur ou faire baisser la fièvre. Bref, il n’est pas rare qu’on prenne des médicaments tout en consommant de l’alcool... parfois sans trop y penser. Pourtant, ce mélange peut entraîner des effets secondaires importants, voire dangereux. C’est un rappel que nous font régulièrement les professionnel(le)s de la santé, mais qu’on a parfois tendance à minimiser ou à oublier.
Que se passe-t-il quand on mélange alcool et médicaments?
Pour mieux comprendre les risques liés à la consommation d’alcool combinée à la prise de médicaments, il faut d’abord savoir ce que deviennent les médicaments une fois qu’ils sont dans notre corps. Sauf dans le cas des traitements destinés au système digestif, la grande majorité des médicaments que nous avalons sont absorbés par la paroi de l’estomac et de l’intestin. Ils passent ensuite dans la circulation sanguine pour atteindre le cœur, le cerveau, les muscles, et d’autres tissus où ils exercent leur effet. Cependant, avant d’arriver à destination, les médicaments – tout comme l’alcool – doivent d’abord passer par le foie, un véritable centre de tri pour notre organisme. Son rôle? Détecter et transformer les substances étrangères, qu’on appelle aussi xénobiotiques, afin de nous protéger. Grâce à des protéines spécialisées, le foie modifie ces substances pour les désactiver et faciliter leur élimination, souvent par l’urine. Cela dit, ce n’est pas toujours aussi simple : certains médicaments ont besoin de cette transformation pour être actifs et agir efficacement dans notre corps.
Il en est de même pour l’alcool. Une fois avalé, il commence à être absorbé dans le sang à partir de l’estomac puis des intestins, avant de passer lui aussi par le foie. Contrairement à certains médicaments, l’alcool n’a pas besoin d’être activé pour agir : le foie cherche plutôt à l’éliminer en le transformant en une autre substance, appelée acétaldéhyde. Cette tâche n’est pas confiée aux mêmes protéines que celles qui gèrent les médicaments. L’alcool est surtout éliminé par une enzyme spécifique, l’alcool déshydrogénase, tandis que la plupart des médicaments sont dégradés par un groupe de protéines connues sous le nom de cytochromes P450.
Il existe toutefois un lien étroit entre les deux mécanismes : l’alcool peut influencer le taux de certains cytochromes, et ce, de façon différente selon la quantité et la fréquence de la consommation d’alcool. Prenons l’exemple de la warfarine, vendue sous le nom Coumadin et sous différentes marques génériques. Cet anticoagulant est utilisé pour prévenir la formation de caillots sanguins. Si on consomme de l’alcool à l’occasion, cela peut ralentir l’élimination de la warfarine, ce qui rend le sang plus liquide que prévu – augmentant ainsi le risque de saignements. À l’inverse, une consommation régulière stimule l’activité des cytochromes, ce qui peut faire en sorte que la warfarine soit éliminée trop rapidement... réduisant son efficacité et augmentant le risque de caillots [3].
C’est la même chose pour plusieurs autres médicaments : avec une dose identique, en consommant de l’alcool, certaines personnes verront ses effets augmenter, alors que pour d’autres, l’effet sera diminué! Pas évident de s’y retrouver... et parfois même risqué, surtout si des effets secondaires apparaissent lorsqu’un médicament devient trop puissant. C’est le cas, par exemple, de plusieurs médicaments qui influencent la vigilance comme ceux contre l’anxiété, la douleur ou la dépression. Mélangés à l’alcool, leur effet sédatif peut être amplifié, ce qui augmente les risques de somnolence, de perte d’équilibre ou de ralentissement des réflexes. Une autre combinaison à surveiller est celle de l’alcool avec certains médicaments oraux contre le diabète. Ensemble, ils peuvent entraîner des crises d’hypoglycémies sévères.
Il faut aussi se méfier si l’alcool diminue l’efficacité du médicament au point qu’il ne joue plus pleinement son rôle. Quand un médicament ne protège plus contre les complications d’une maladie à risque – pensons aux médicaments pour le cœur, la tension artérielle ou certains médicaments contre le cancer – les conséquences peuvent être sérieuses.
Quand le foie encaisse le coup
Même en l’absence de médicament, l’alcool est en soi une substance toxique pour le foie. Il représente d’ailleurs la principale cause de lésions hépatiques comme le foie gras ou l’hépatite médicamenteuse, qui, à long terme, peuvent évoluer vers une cirrhose.
Le foie ne se contente pas de transformer les médicaments : il doit aussi gérer les résidus produits par cette transformation, qu’on appelle les métabolites. Or, certains d’entre eux peuvent être toxiques pour le foie. Parmi les plus préoccupants, on retrouve l’acétaminophène (Tylénol et ses équivalents génériques). Même sans consommation d’alcool, ce médicament peut produire un métabolite nocif, capable de détruire les cellules du foie. En présence d’alcool, le risque augmente considérablement, mettant le foie à rude épreuve.
La combinaison alcool-médicaments peut aussi avoir un effet sur la façon dont l’alcool est absorbé par notre corps. Certains médicaments ralentissent la vidange gastrique, c’est-à-dire le passage des aliments et des liquides de l’estomac vers l’intestin. Résultat : l’alcool peut être absorbé plus rapidement qu’à l’habitude. Même avec une consommation modérée, cela peut entraîner des effets d’ébriété plus rapides et plus intenses que prévu.
Les effets bien connus du « lendemain de veille » – maux de tête, vertiges, sueurs, nausées, vomissements, etc. – sont en grande partie causés par l’accumulation d’acétaldéhyde, une substance produite lorsque le foie transforme l’alcool. Certains médicaments augmentent cette accumulation, ce qui intensifie les effets désagréables. C’est d’ailleurs le principe du disulfirame, mieux connu sous le nom d’Antabuse, utilisé pour aider les personnes en sevrage alcoolique : en rendant la consommation d’alcool très pénible, il agit comme un puissant dissuasif.
Ce type de réaction ne se limite pas à l’Antabuse. D’autres médicaments comme certains antibiotiques, antifongiques ou encore hypoglycémiants oraux peuvent eux aussi provoquer un effet Antabuse s’ils sont pris en même temps que de l’alcool.
Médicaments à surveiller : plus nombreux qu’on le pense
La liste des médicaments à éviter ou à utiliser avec prudence en présence d’alcool est longue... et difficile à mémoriser. Elle inclut non seulement des médicaments sous ordonnance, mais également de nombreux produits en vente libre, tels que l’acétaminophène, les antihistaminiques, les anti-inflammatoires, ou encore les médicaments contre les nausées. Ces médicaments sont souvent offerts sous différentes marques commerciales, parfois en tant qu’ingrédient secondaire dans des produits combinés. Même si le nom reste le même, la dose peut varier d’un produit à l’autre.
Même si on ne peut pas mémoriser les noms de médicaments à éviter, on peut – et on doit – prendre l’habitude de lire les avertissements sur les médicaments. Au Canada, chaque médicament vendu en pharmacie, qu’il soit sur ordonnance ou en vente libre, doit être accompagné d’indications claires sur les précautions à prendre, notamment en ce qui concerne la consommation d’alcool. Dans les cas les plus risqués, le pharmacien ou la pharmacienne prendra souvent le temps de vous informer directement au moment de l’achat – même pour un médicament en vente libre. Un bon réflexe : poser la question si vous avez un doute.
En revanche, l’information ne circule pas toujours dans les deux sens : aucune mise en garde n’est obligatoire sur les contenants d’alcool, même pas un simple avis général sur les risques pour la santé ou les interactions possibles avec les médicaments. Heureusement, les choses évoluent. Il existe aujourd’hui une grande variété de produits sans alcool comme des bières, des mocktails et du mousseux, qui permettent de trinquer sans nuire à un traitement en cours. Une belle façon de prendre soin de soi... sans compromis sur le plaisir!
Sources3
Collectif. « Portrait de la consommation d’alcool au Québec et au Canada ». INSPQ. https://www.inspq.qc.ca/substances-psychoactives/alcool/dossier/portrait-de-la-consommation-alcool-au-canada-et-au-quebec. Consulté le 9 juillet 2025.
Collectif. « Consommation des médicaments sur ordonnance chez les adultes canadiens, 2016 à 2019 ». https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/210628/dq210628e-fra.htm. Consulté le 9 juillet 2025.
Collectif. « Association alcool-médicaments, quelles interactions? ». FCRPV. https://www.rfcrpv.fr/association-alcool-medicament-quelles-interactions/. Consulté le 9 juillet 2025.
