Parole de spécialiste — 14 minutes
Nutrition et TDAH : ce que l’alimentation peut vraiment changer
28 août 2025

Des lunchs boudés, des soupers écourtés, des collations oubliées… et des parents qui se demandent s’ils font ce qu’il faut. Le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), c’est bien plus qu’un simple manque de concentration. Pour plusieurs familles, c’est un casse-tête quotidien où chaque stratégie compte. Et avec tout ce qu’on entend dire, on se demande toujours si l’alimentation peut vraiment aider.
La science ne dit pas oui à tout, mais elle commence à tracer des pistes solides. Et parfois, quelques ajustements bien ciblés suffisent à ramener un peu de calme dans le tourbillon.
Le TDAH ne se traite pas par l’assiette
Malgré ce qu’on peut lire ou entendre, aucune diète, aussi « naturelle » ou « anti-inflammatoire » soit-elle, ne peut guérir le TDAH [1]. Il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental complexe, accompagné d’un mélange de facteurs, en grande partie génétiques, mais aussi liés à la structure du cerveau et à la chimie des neurotransmetteurs. On ne parle pas d’un enfant qui manque de volonté ni d’un adulte qui devrait « juste faire un effort ». On parle d’un cerveau qui fonctionne autrement.
Cela dit, si l’alimentation ne cause pas le TDAH (et ne le guérit pas non plus), elle peut parfois jouer un rôle [1]. Pas toujours. Pas à elle seule. Mais chez certaines personnes, dans certains contextes, des interventions nutritionnelles bien ciblées peuvent alléger le quotidien, moduler les symptômes ou soutenir les autres approches. Ce n’est pas une baguette magique, mais un levier de plus. Et c’est justement ce qu’on va explorer ici.
Quand les médicaments coupent l’appétit
L’une des réalités les plus fréquentes et les plus sous-estimées du traitement du TDAH par un médicament, c’est la perte d’appétit [2]. On en parle souvent comme d’un effet secondaire banal, passager ou inévitable. Mais parfois, chez plusieurs enfants, adolescents et même adultes, l’impact est bien réel. L’envie de manger diminue peu après la prise du médicament chez 30 à 60 % des gens. Le déjeuner passe, le dîner est repoussé, et au souper, l’appétit revient… parfois trop tard pour vraiment bien compenser. Petit à petit, le poids stagne, la croissance peut ralentir (pas tout le temps), les repas deviennent source de conflits ou d’inquiétude.
Ce n’est pas de la mauvaise volonté. Ce n’est pas un caprice. C’est un effet pharmacologique documenté. Les stimulants comme le méthylphénidate (Ritalin, Concerta, Biphentin) ou les amphétamines (Adderall, Vyvanse) agissent sur les circuits de la dopamine et de la noradrénaline. En modulant l’attention, l’impulsivité et l’hyperactivité, ils agissent aussi sur les signaux de la faim. Même la meilleure alimentation du monde ne peut annuler cet effet, mais elle peut contribuer à en réduire les effets.
Manger pour grandir, pas pour guérir
Dans ce contexte, l’intervention nutritionnelle prioritaire n’a rien à voir avec des aliments à bannir ou un régime à adopter. Elle vise quelque chose de plus fondamental, soit d’aider la personne à maintenir un apport énergétique suffisant pour soutenir sa croissance, sa concentration et son quotidien. Il ne s’agit pas de se forcer à manger, mais d’identifier les bons moments, les bons aliments, et les bonnes stratégies pour y arriver, sans pression.
Il faut parfois changer l’horaire typique des trois repas par jour à heure fixe. On privilégie des repas rassasiants avant que l’effet du médicament ne s’installe. Consommer des collations nourrissantes en journée et le soir, quand l’appétit revient, peut aussi être gagnant. Des aliments denses en énergie, en goût et en réconfort peuvent compenser l’absence de repas traditionnels pris à heure fixe. Les textures, les températures et les présentations qui donnent envie augmentent le plaisir associé à la nourriture. Ces différentes stratégies ne seront pas toujours faciles à adopter, mais elles sont souvent très efficaces.
Ce genre d’approche ne fait peut-être pas l'unanimité, mais elle change des vies. Elle favorise l’adhésion au traitement, tout en remettant l’alimentation à sa juste place, soit celle d’offrir un soutien énergétique, pas une solution magique.
Quand les médicaments contre le TDAH diminuent l’appétit, l’horaire habituel des repas (déjeuner, dîner, souper) ne suffit plus. On doit souvent penser autrement, en fractionnant les apports et en glissant des occasions de manger là où c’est encore possible. Ceci n’est pas un plan rigide, mais un point de départ que l’on adapte à l’âge, au contexte, à l’appétit du moment. L’important, c’est de manger assez dans la journée et pas nécessairement au moment idéal ni en grande quantité d’un seul coup.
Matin (avant la prise du médicament)
C’est souvent la fenêtre la plus précieuse. On en profite pour offrir un vrai repas nourrissant, même s’il ne ressemble pas à un déjeuner classique. Smoothie riche en protéines avec des toasts, reste de souper (oui, c’est permis), sandwich, bol de yogourt avec fruits et noix… tout est bon, tant que c’est dense et soutenant.
Avant-midi (si possible)
Une petite collation, même sans grande faim : compote, mini-muffin, quelques bouchées de fromage ou un œuf dur. Ce n’est pas la quantité qui compte, mais la fréquence. Si on est capable d’intégrer deux petites collations, on en profite.
Midi
L’appétit est souvent à son plus bas. On ne saute pas le repas, mais on l’ajuste : version réduite du dîner, portionné dans deux petits plats qu’on pourra terminer plus tard; des aliments froids, de petites bouchées, en soignant la présentation. L’objectif est de garder le lien avec le moment du dîner, même si c’est symbolique.
Fin d’après-midi
Quand l’effet du médicament commence à s’estomper, l’appétit revient. C’est le moment idéal pour glisser une collation plus costaude ou pour terminer de manger son dîner, sans craindre de nuire au souper : smoothie, sandwich (p. ex. un roulé), bol de céréales, fruits secs, tout ce qui passe bien.
Souper
Ce repas peut redevenir plus copieux et il peut être consommé un peu plus tard. On évite de trop miser sur la variété à tout prix. Un plat apprécié, même répété, est souvent plus aidant qu’un repas « équilibré » que personne ne veut manger. L’ambiance, la convivialité et le non-jugement peuvent vraiment améliorer les choses.
Soirée
Une dernière collation avant le coucher (ou on termine de manger notre souper!) permet de consolider les apports : lait chaud, tartine, gruau, yogourt. Même une petite quantité peut avoir un effet positif.
S’intéresser au “comment on mange”
Dans l’accompagnement nutritionnel du TDAH, on gagne souvent à se demander « comment on mange ». On ne parle pas seulement d’aliments, mais de vitesse à laquelle on mange, de contexte, de préférences sensorielles [3,4]. Plusieurs personnes vivant avec un TDAH (enfants comme adultes) présentent une hypersensibilité aux textures, aux odeurs, aux mélanges ou à la température des aliments. Ce n’est pas « être difficile », bien au contraire. C’est une façon de percevoir les aliments, souvent amplifiée par le bruit, la fatigue ou l’anxiété.
Plutôt que de lutter contre ça, apprenons à en tirer le meilleur parti. On peut y arriver en offrant des aliments familiers, en ajustant les textures, en décomposant les assiettes et en évitant les associations sensorielles trop intenses. L’alimentation devient une compétence à bâtir, pas une performance à atteindre.
Et surtout, on garde en tête que bien manger avec un TDAH, ce n’est pas une question de volonté ou de discipline. C’est un travail d’adaptation. Avec bienveillance, sans pression, et avec une bonne dose de créativité.
Ce que la science commence à nous montrer
La recherche sur les liens entre nutrition et TDAH est abondante, mais encore difficile à interpréter. Les études ne se ressemblent pas, les protocoles sont parfois flous, avec peu de sujets étudiés, et les résultats, inégaux. Malgré cette diversité, certaines observations reviennent de façon récurrente et commencent à tracer quelques pistes plus solides.
Certaines études ont observé des taux plus faibles de fer, de zinc ou de magnésium chez des enfants atteints d’un TDAH [5]. Ces nutriments participent à la régulation de la dopamine, ce qui en fait des pistes plausibles, mais pas des solutions automatiques. À ce jour, rien ne prouve que la prise de suppléments améliore les symptômes chez les personnes qui n’ont pas de carence confirmée. Prendre des suppléments « juste au cas où » peut aussi s’avérer inutile ou nous faire passer à côté d’interventions plus efficaces. Avant d’ajouter quoi que ce soit, mieux vaut analyser pour choisir les actions à poser en fonction des bonnes données, pas selon des suppositions.
Les colorants alimentaires et certains additifs ont longtemps été soupçonnés d’aggraver l’agitation ou l’impulsivité, surtout depuis les années 1970 [6]. Les études récentes montrent que ces effets, lorsqu’ils existent, ne touchent qu’un petit sous-groupe d’enfants. On parle souvent de « sensibilité individuelle », mais on ne sait toujours pas ce qui explique ces réactions. C’est peut-être une interaction génétique, peut-être un autre facteur biologique encore mal compris. Ce qu’on sait, en revanche, c’est que ce phénomène est imprévisible et qu’en faire une priorité nutritionnelle, pour tous, fait souvent plus de mal que de bien.
Quant au sucre, on se rassure, il ne provoque pas d’hyperactivité [7]. L’idée est tenace, mais elle ne tient pas la route scientifiquement. Des études bien contrôlées, menées en double insu, ont comparé le comportement d’enfants après avoir consommé du sucre ou un placebo et aucune différence significative n’a été observée. Ce qu’on perçoit souvent comme un « effet du sucre » reflète plutôt le contexte dans lequel il est consommé (fête, excitation, bruit, attentes parentales d’être calme). Et sur le plan neurobiologique, le sucre donne de l’énergie, oui. Mais il ne modifie pas le comportement. C’est la situation qui stimule, pas le gâteau dégusté lors d’un anniversaire.
Les oméga-3, en particulier l’EPA, ont retenu l’attention dans la recherche sur le TDAH. Ces acides gras jouent un rôle clé dans la structure des membranes neuronales et la communication entre les cellules du cerveau [8, 9]. Plusieurs études ont observé des taux plus bas chez les enfants atteints d’un TDAH. L’ensemble de la littérature scientifique tend à montrer qu’une supplémentation riche en EPA (autour de 500 mg par jour ou plus) pourrait modestement améliorer certains symptômes, surtout chez les enfants qui présentent une carence en oméga-3 ou qui ne répondent pas bien aux médicaments. Ce n’est pas un traitement de première ligne, mais un complément potentiellement utile. Cela dit, ces doses doivent être encadrées. Ce n’est pas parce qu’un nutriment est « naturel » qu’il est anodin, surtout chez les enfants.
Diètes éliminatoires, rigoureuses… ou risquées?
Certaines familles explorent les régimes d’élimination pour tenter de réduire les symptômes du TDAH. La plus documentée est la diète Few Foods, très restrictive au départ, puis suivie d’une réintroduction progressive [1,2]. Une étude menée aux Pays-Bas a montré une amélioration chez certains enfants, mais ce type d’approche exige un encadrement professionnel étroit. Sans suivi rigoureux, le risque de carences, de conflits familiaux ou de dérives vers des troubles alimentaires devient bien réel, et les effets positifs, lorsqu’ils existent, ne se maintiennent pas toujours dans le temps.
Quant aux diètes sans gluten ou sans produits laitiers, proposées hors diagnostic médical, elles ne reposent pas sur des données probantes [1]. Les effets perçus peuvent refléter une réduction globale des aliments ultratransformés, un effet placebo ou simplement un meilleur encadrement des repas. Dans tous les cas, une évaluation par une ou un diététiste-nutritionniste reste la meilleure option.
Une approche qui soutient sans épuiser
Mieux manger ne transforme pas tout, mais ça peut vraiment aider à stabiliser l’énergie, soutenir la concentration, améliorer le sommeil et adoucir le quotidien. Chez certaines personnes, des ajustements ciblés changent vraiment les choses. Chez d’autres, l’effet est plus subtil. Et c’est normal.
Il n’existe pas de régime miracle, mais une alimentation variée, rassasiante, avec le moins d’aliments ultratransformés et adaptée à l’appétit du moment peut devenir un levier précieux. L’important, c’est d’outiller sans alourdir. De soutenir sans culpabiliser. Parce qu’en nutrition, comme en TDAH, ce qui fonctionne vraiment, c’est de s’adapter.
Sources9
- Sonuga-Barke EJ, Brandeis D, Cortese S, et al. Nonpharmacological interventions for ADHD: systematic review and meta-analyses of randomized controlled trials of dietary and psychological treatments. Am J Psychiatry. 2013;170(3):275-289. doi:10.1176/appi.ajp.2012.12070991
- Catalá-López F, Hutton B, Núñez-Beltrán A, et al. The pharmacological and non-pharmacological treatment of attention deficit hyperactivity disorder in children and adolescents: A systematic review with network meta-analyses of randomised trials. PLoS One. 2017;12(7):e0180355. Publié le 12 juillet 2017. doi:10.1371/journal.pone.0180355
- Del-Ponte B, Quinte GC, Cruz S, Grellert M, Santos IS. Dietary patterns and attention deficit/hyperactivity disorder (ADHD): A systematic review and meta-analysis. J Affect Disord. 2019;252:160-173. doi:10.1016/j.jad.2019.04.061
- Shareghfarid E, Sangsefidi ZS, Salehi-Abargouei A, Hosseinzadeh M. Empirically derived dietary patterns and food groups intake in relation with Attention Deficit/Hyperactivity Disorder (ADHD): A systematic review and meta-analysis. Clin Nutr ESPEN. 2020;36:28-35. doi:10.1016/j.clnesp.2019.10.013
- Cortese S, Angriman M, Lecendreux M, Konofal E. Iron and attention deficit/hyperactivity disorder: What is the empirical evidence so far? A systematic review of the literature. Expert Rev Neurother. 2012;12(10):1227-1240. doi:10.1586/ern.12.116
- Nigg JT, Lewis K, Edinger T, Falk M. Meta-analysis of attention-deficit/hyperactivity disorder or attention-deficit/hyperactivity disorder symptoms, restriction diet, and synthetic food color additives. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry. 2012;51(1):86-97.e8. doi:10.1016/j.jaac.2011.10.015
- Farsad-Naeimi A, Asjodi F, Omidian M, et al. Sugar consumption, sugar sweetened beverages and Attention Deficit Hyperactivity Disorder: A systematic review and meta-analysis. Complement Ther Med. 2020;53:102512. doi:10.1016/j.ctim.2020.102512
- Chang JP, Su KP, Mondelli V, Pariante CM. Omega-3 Polyunsaturated Fatty Acids in Youths with Attention Deficit Hyperactivity Disorder: a Systematic Review and Meta-Analysis of Clinical Trials and Biological Studies. Neuropsychopharmacology. 2018;43(3):534-545. doi:10.1038/npp.2017.160
- Hawkey E, Nigg JT. Omega-3 fatty acid and ADHD: blood level analysis and meta-analytic extension of supplementation trials. Clin Psychol Rev. 2014;34(6):496-505. doi:10.1016/j.cpr.2014.05.005
