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Science  —  13 minutes

L’allergologie moléculaire : une avancée majeure dans le diagnostic et le traitement des allergies

April 4th, 2017
Raymond Lepage, PhD, Doctor in Biochemistry
Raymond Lepage, PhD, Doctor in Biochemistry
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allergenic foods

Le diagnostic des allergies actuel

Le diagnostic des allergies repose avant tout sur une histoire de cas et un examen physique rigoureux menés par le médecin. Les impressions dégagées par ces examens sont par la suite confirmées par des tests cutanés ou par la mesure d’anticorps IgE dans le sang. Le principe du test cutané consiste à appliquer sur la peau du bras de petites quantités d’extraits non purifiés de la substance allergène soupçonnée (extrait d’arachides, de lait, de poils d’animaux, de pollen, etc.). La présence d’une sensibilisation à ces allergènes se manifeste par une réaction cutanée déclenchée par la réaction d’anticorps IgE du patient avec certaines substances contenues dans l’extrait d’allergène. Le test sanguin est basé sur le même principe alors qu’une goutte de sang est mise en contact avec les mêmes extraits bruts des substances suspectes. La présence des IgE spécifiques est alors révélée par la formation de complexes mesurables en laboratoire entre les anticorps IgE circulants du patient et certains composants de l’extrait brut de l’allergène.

Les inconvénients

Puisque ces extraits d’allergènes ne sont pas purifiés, ils contiennent probablement des dizaines, voire des centaines de substances antigéniques différentes. Les résultats positifs obtenus lors de ces tests ne sont pas entièrement spécifiques pour la source allergénique testée. En effet, certaines molécules allergéniques se ressemblent beaucoup d’un organisme à l’autre. Ainsi, un anticorps IgE donné sera incapable de les distinguer et pourra réagir avec ces différentes substances semblables, que ce soit dans le tube à essai ou sur la peau de l’individu. On retrouve donc des phénomènes de polysensibilisation et d’allergies croisées dus à cette réaction entre une IgE et plusieurs molécules voisines. Par exemple, on retrouve des individus sensibilisés à plusieurs fruits, ou encore à la fois aux arachides et au pollen d’arbre. Il devient difficile alors de répondre à des questions aussi importantes que celles concernant le risque relatif de chaque aliment à éviter, savoir si le risque est modifié par la cuisson, etc.  À peine un enfant sur cinq considéré sensible ou allergique aux arachides suite à des tests cutanés ou sanguins est vraiment susceptible de connaître une réaction sévère lors de l’ingestion de cet aliment. Chez 80 % des enfants sensibilisés aux arachides, le risque de réaction sévère est très faible et la restriction sévère absolue ou le port de l’auto-injecteur à épinéphrine (EpiPen) devient alors beaucoup moins indiqué.

Pour voir clair dans ces différents scénarios, l’allergologue va souvent se résoudre à effectuer une épreuve de provocation orale avec l’allergène en cause. Compte tenu du risque de réaction sévère chez le patient vraiment allergique, même à des traces du produit, cette provocation ne peut se faire que dans un milieu clinique complet, souvent à l’hôpital. Le phénomène d’allergies croisées complique également le traitement des patients : parmi plusieurs substances potentiellement allergènes, laquelle est la plus susceptible d’être utilisée dans un programme de désensibilisation?

L'allergologie moléculaire

Une partie des réponses à ces questions peut maintenant être obtenue via la recherche de molécules allergéniques spécifiques. Dans un extrait brut d’arachide, par exemple, on a maintenant identifié environ une douzaine de molécules allergènes différentes qu’on peut séparer les unes des autres et obtenir sous forme pure (par recombinaison génétique). Parmi ces allergènes, cinq peuvent être utilisés en laboratoire pour détecter dans le sang les anticorps IgE correspondants : Ara h1, Ara h2, Ara h3, Ara h8, et Ara h9. Dans ce groupe, ce sont les composés Ara h1, Ara h2 et Ara h3 qui sont à la fois les plus abondants, les plus résistants à la cuisson et les plus susceptibles d’entraîner une réaction sévère. Les individus chez qui on détecte la présence d’anticorps IgE contre l’un ou plusieurs de ces allergènes moléculaires spécifiques sont donc ceux qui doivent éviter à tout prix de consommer même des quantités minimes d’arachides. Ce sont ceux également qui doivent toujours avoir leur trousse d’urgence à portée de la main. Par contre, les individus chez qui on ne retrouve que des IgE anti-Ara h8 sont beaucoup moins à risque. En effet, Ara h8 est un allergène moléculaire moins dangereux et qui ressemble beaucoup au principal allergène du bouleau (Bet v1). Pour une même réaction cutanée positive ou un taux égal d’IgE sanguins anti-arachides, les individus qui ne démontreront pas la présence d’IgE anti-Ara h1, h2 ou h3 seront beaucoup moins à risque de développer une réaction sévère. Un grand nombre de ces individus pourront réintroduire de petites quantités d’arachides dans leur diète et laisser leur auto-injecteur d’adrénaline de côté.

Histoires de cas

Voici 5 histoires de cas, tirées de la bibliographie de la firme Pharmacia, qui illustrent l’utilité de l’analyse moléculaire des allergènes.

Cas no 1

Emma : une allergie aux arachides?

Depuis l’âge de six ans, Emma est allergique au bouleau. Elle souffre de rhinite et de conjonctivite pendant la saison des pollens. À seize ans, elle a présenté subitement des réactions locales après ingestion d’arachides. Les tests cutanés et les analyses d’IgE confirment son allergie à l’arachide et son médecin recommande un régime strict d’évitement de tout composé pouvant contenir de l’arachide.

Lors de la visite suivante, le médecin pratique une analyse des composants moléculaires qui révèle qu’Emma est effectivement sensibilisée aux composants spécifiques Ara h1, Ara h2 et Ara h3 de l’arachide. Ces résultats indiquent qu’Emma présente une allergie réelle à l’arachide : ses taux d’IgE sont importants pour les trois marqueurs de risque. Ces composants sont des protéines de stockage stables et sont présents en grande quantité dans l’arachide et les fruits à coques. Elle court, par conséquent, le risque de réactions systémiques. Elle doit absolument éviter toute trace d’arachide et devra toujours avoir sur elle un auto-injecteur d’épinéphrine.

Cas no 2

Caroline : une allergie aux arachides?

À l’âge de six ans, Caroline souffrait également de rhinite et de conjonctivite pendant la saison des pollens. Les tests cutanés se sont révélés positifs pour le bouleau. Aujourd’hui âgée de seize ans, elle présente des réactions orales lorsqu’elle consomme de l’arachide et les tests d’allergie pour l’extrait total d’arachide viennent appuyer un diagnostic d’allergie à l’arachide. Toutefois, des tests IgE complémentaires visant les composants moléculaires indiquent que Caroline ne présente aucun taux d’IgE anti-Ara h1, h2 ou h3. Par contre, des taux élevés d’anticorps pour Ara h8 ont été détectés. Ara h8 est un composant à réactivité croisée de l’arachide, très similaire à l’allergène principal du bouleau (BET v1).

Ara h8 (tout comme Bet v1) est une protéine de la famille des PR-10, un groupe de protéines labiles. Une allergie à l’arachide associée au pollen de bouleau peut déclencher des réactions désagréables qui se limiteront cependant le plus souvent à des symptômes locaux autour de la bouche. Le risque de réaction grave est faible : Caroline ne devrait donc pas s’inquiéter en cas d’ingestion d’arachides en faible quantité. Le tout pourrait être éventuellement confirmé par un test de provocation orale beaucoup moins risqué chez Caroline que chez Emma.

En résumé, Emma et Caroline présentent les mêmes symptômes d’allergies aux arachides et la même réponse aux tests cutanés et au dosage des IgE totaux anti-arachides dans le sang. La mesure des allergènes moléculaires révèle cependant une différence fondamentale dans la nature des IgE détectées, alors que seule Emma est réellement à risque de réaction sévère contre même de petites traces d’arachide. La connaissance du type d’IgE présent chez ces deux jeunes filles fait toute la différence quant à la conduite clinique à suivre par le médecin et les précautions quotidiennes à prendre par chacune.

Cas no 3

Olivier : une allergie au soja?

À l’âge de quatre ans, Olivier souffrait d’eczéma et présentait une respiration sifflante. Les tests avec les extraits totaux de soja et de bouleau étaient positifs. Le médecin en a conclu qu’il était allergique à la fois au bouleau et au soja, et a recommandé de lui éviter toute consommation de soja. Aujourd’hui, Olivier a huit ans. Le médecin a inclus dans son bilan des tests de composants moléculaires pour mieux affiner son diagnostic. Les résultats de ces tests révèlent qu’Olivier a dans son sang des taux d’IgE importants contre les composants du soja Gly m5 et Gly m6, deux protéines de stockage spécifiques du soja.

Les protéines de stockage sont extrêmement stables à la digestion et à la cuisson et sont présentes en grande quantité dans le soja. L’allergie d’Olivier au soja est véritable et comme les composants auxquels il est sensibilisé sont stables et abondants, il court un risque de réaction systémique sévère. Il devra par conséquent éviter strictement le soja cru ou cuit.

Cas no 4

Anna : une allergie au soja?

Dès l’âge de quatre ans, Anna souffrait d’eczéma. À six ans, sa respiration devient sifflante. Les tests cutanés et taux d’IgE sanguins avec les extraits bruts s’étant révélés positifs pour le bouleau et le soja, le médecin en conclut à une double allergie bouleau-soja. Anna devait donc éliminer tout soja de son alimentation.

Est-elle réellement allergique au soja? Pour le déterminer, le médecin inclut une analyse des composants allergéniques moléculaires lorsqu’Anna a huit ans. Ces résultats indiquent qu’Anna ne possède pas d’anticorps IgE contre Gly m5 et Gly m6, les composants stables, spécifiques et dangereux du soja, mais présente des taux élevés d’IgE anti-Gly m4, un des allergènes du soja moins dangereux. Pour sa part, son allergie au bouleau est confirmée par des taux élevés d’anticorps pour le composant Bet v1 spécifique du bouleau.

L’allergie au soja d’Anna se révèle donc être une allergie alimentaire associée au pollen. Gly m4 est un composant à réactivité croisée du soja; les résultats positifs du test étaient dus à son allergie au bouleau. Anna pourra présenter des réactions locales lorsqu’elle consommera du soja, mais elle n’a pas à s’inquiéter des faibles quantités de soja présentes dans son alimentation. Elle devra toutefois éviter le soja sous ses formes peu transformées, comme le jus de soja.

À nouveau, pour deux enfants présentant une histoire clinique, des symptômes et des résultats similaires aux tests cutanés et sanguins pour des extraits bruts de soja, la mesure des taux d’IgE spécifiques révèle une différence fondamentale entre les deux. À nouveau, la connaissance des types d’IgE présents chez ces deux enfants fait toute la différence quant à la conduite clinique à suivre par le médecin et les précautions quotidiennes à prendre par chacun.

Cas no 5

Antoine : une allergie multiple aux pollens?

Antoine présente des antécédents d’allergies et les tests cutanés de même que les taux d’IgE sanguins avec les extraits bruts se sont révélés positifs pour trois types de pollen : le bouleau, la fléole et l’armoise. Sa rhinoconjonctivite dure tout au long de la saison, de mars à octobre. Un traitement par immunothérapie spécifique lui a été prescrit. Il reste toutefois à sélectionner l’extrait approprié à utiliser. Le médecin a décidé d’étudier en détail la sensibilisation d’Antoine; il a sélectionné des composants de la fléole, du bouleau et de l’armoise pour déterminer un profil IgE plus précis. Ces résultats ont indiqué qu’Antoine est sensibilisé aux marqueurs spécifiques de la fléole des prés (Phl p1 et Phl p5), alors qu’il ne l’est pas aux marqueurs spécifiques du bouleau (Bet v1) ou de l’armoise (Art v1).

Dans le cas d’Antoine, cette sensibilisation apparente au bouleau et à l’armoise établie par les résultats des tests cutanés et sanguins avec les extraits bruts était due à la présence dans les trois sources d’un même composant à réactivité croisée.

En s’appuyant sur les résultats obtenus avec l’allergologie moléculaire, le médecin a pu établir avec suffisamment de certitude qu’une immunothérapie spécifique utilisant uniquement l’extrait de fléole serait appropriée et probablement plus efficace pour le traitement d’Antoine.

Des analyses de composants moléculaires de dizaines d’aliments, végétaux, poissons, etc. sont présentement disponibles et d’autres s’ajoutent chaque année. L’utilisation de ces nouveaux marqueurs est déjà d’une grande utilité pour les médecins tant au niveau diagnostique et pronostique que thérapeutique.

Raymond Lepage, PhD, Doctor in Biochemistry
Raymond Lepage, PhD, Doctor in Biochemistry
Science popularizer
For about 50 years, Raymond Lepage worked as a clinical biochemist in charge of public and private laboratories. An associate clinical professor at the Faculty of Medicine of the Université de Montréal and an associate professor at the Université de Sherbrooke, he has also been a consultant, researcher, legal expert and conference speaker. He has authored or co-authored more than 100 publications for scientific conferences and journals, and now devotes part of his semi-retirement to popularizing science.